Une question taraude souvent les participants aux ateliers d’écriture : comment avoir un ‘beau style’ ? Et si on n’était pas à la hauteur, comment en avoir conscience et comment corriger le tir ? S’il est naturel de se poser la question, une chose est pourtant sûre : aussi certain que l’appétit vient en mangeant, le style vient… en lisant et en écrivant ! Ceci dit d’une autre manière, écrire, c’est du travail ! 🙂

Philippe Djian : une vision éclairante du métier d’écrivain

Philippe Djian, auteur notamment de 37.2° le matin, est très catégorique sur l’importance du style dans son approche. Pour lui, un roman provient de la musicalité de sa première phrase. Il est l’un des rares auteurs qui ne commence pas son travail d’écriture par un plan écrit. Pour autant, il débute l’élaboration du roman par une intense phase de réflexion :

Interview de Philippe Djian parue dans l’Express/Lire le 9/04/2010

« Je dis parfois à ma femme : « Laisse-moi pendant une semaine, que je m’assoie. Je ne veux pas de bruit, je vais réfléchir. » Mais je n’arrive pas à aller plus loin que… rien. Il faut que j’écrive la première phrase. Si je ne l’ai pas écrite, je ne peux rien faire. Dans un roman, l’histoire n’a pas beaucoup d’importance. De toute façon, toutes les histoires sont toujours les mêmes : la mort, l’égoïsme, la passion, la jalousie… On a tous lu ça cent fois ! Si vous avez lu Shakespeare, vous avez tout lu. Moi, ça me bloque et je ne sais plus quoi raconter. Tandis qu’une phrase, ce n’est pas pareil. Ça débloque, une phrase. Et là jaillissent les bouts d’histoires que je porte en moi. […] Impardonnables, le précédent roman, s’ouvrait par une phrase d’une ligne seulement. L’histoire ne vient qu’après ces premières phrases, une fois que la musique s’est mise en place. PourIncidences, par exemple, tout est parti de la première phrase, comme toujours, et cette première phrase faisait quatre ou cinq lignes : je sais que le type s’appelle Marc et montera dans une voiture qui ne sera pas une grosse voiture et hop ! ça devient une Fiat 500… Tout cela bout et monte. L’histoire, vous le voyez, compte moins que le style. « 

Si l’histoire compte moins que le style, ceci signifie que l’acte d’écriture réside dans le travail…

« Qu’est-ce que le travail d’un écrivain ? L’écrivain est simplement quelqu’un qui a une émotion et, au bout de sa main, un stylo. L’émotion passe du cerveau au stylo. L’écrivain doit faire en sorte qu’entre les deux il y ait le moins de perte possible. Cela peut paraître dérisoire, mais ce qui est capital pour l’écrivain est de savoir où il met une virgule. Le monde qui nous entoure, l’écrivain peut le traduire parce qu’il ressent une espèce de vibration. Mais le problème est : comment la traduire, cette vibration ? C’est un travail manuel plus qu’intellectuel, un travail d’artisan où il faut tripoter les mots. Ce sont des bouts de ficelle. « 

Philippe Djian insiste pour préciser que dans cette optique, tout le monde peut écrire et que la littérature n’est pas réservée à une élite.

« On ne peut pas faire de vous un écrivain au sens où moi je l’entends, mais on peut faire de vous un scénariste ou quelqu’un qui publie. La littérature, la vraie, en effet, ne s’enseigne pas. Mais tout le monde peut s’améliorer, à force de travail. En travaillant, on peut écrire, et très bien, à quoi ressemble le bleu du ciel. C’est une question de travail. Ça ne peut pas s’apprendre, mais ça peut s’enseigner. On peut aussi vous enseigner à structurer un récit. C’est ce que nous prouvent tous les jours ces gens qui viennent des Etats-Unis pour nous expliquer comment faire un scénario, comment écrire une série. Il y a des tas de gens qui prennent des cours de dessin, des cours de scénario, et ça fonctionne ! […] C’est plus beau que ça, la littérature ! Ça ne vous tombe pas dessus comme ça. Ce n’est pas le doigt de Dieu qui traverse les nuages et vous désigne… Le grand cliché, c’est le type qui, d’un seul coup, la nuit, se lève et se met devant sa machine pour écrire trente pages dans la fièvre… On voit ça à la télévision, dans les films. Ça me fait rigoler. Je ne crois pas que ce qu’il écrira soit très bon ! La seule part d’inspiration – et encore -, c’est la première phrase. Cette fameuse première phrase d’où tout découle. Mais une fois qu’on a posé la première phrase, il faut travailler. J’utilise souvent cette image, qui maintenant commence à être un peu usée : un petit bout de fil qui dépasse du sol, en se promenant on se baisse, on le ramasse et si on a un peu de sensibilité, on peut tirer doucement, sans rien casser et toute la bobine vient comme ça. C’est ça, faire de la littérature : rajouter une phrase après une phrase après une phrase tout en tenant la note ; il ne faut pas que ça tombe. D’où, à un moment, la nécessité d’éliminer tout ce qui peut vous gêner. « 

Philippe Djian précise aussi que la littérature n’est pas faite pour décrire la réalité. Du moins pas seulement.

Selon lui, écrire, c’est donc faire un pacte avec le lecteur. Celui-ci doit accepter une langue, une littérature, et l’auteur lui offrira du plaisir en échange. Ce pacte induit lui aussi une dimension de travail, mais qui n’est pas souffrance. Ce travail au contraire est un plaisir.

« C’est un vrai plaisir que d’être assis et de jouer avec les mots. Si vous êtes tout le temps en admiration devant ce que vous écrivez, vous êtes un vrai connard ! Pardonnez-moi, mais il n’y a pas d’autre mot. En revanche, si vous vous dites : « Tu n’es pas bon, mais essaie d’être à la hauteur, essaie d’être meilleur, ne te contente pas de ça », alors vous êtes un vrai écrivain. Je fais comme si c’était la dernière phrase que j’écrirais dans ma vie. J’imagine que je meurs, là, sur ma machine, et que ma femme trouve ce que je viens d’écrire. Je ne veux pas qu’elle se dise : « Hou là là, c’est nul ce qu’il était en train d’écrire ! » Je veux que tout ce que je laisse derrière moi soit propre. « 

Philippe Djian conclut que le rôle de l’écrivain est donc d’offrir une vision différente sur le monde.

« L’écrivain est celui qui propose un outil adéquat pour comprendre le monde. Si je vous donne un bon outil, vous allez pouvoir gratter, voir ce qu’il y a sous la surface. Si l’outil n’est pas adapté, ça ne servira à rien. L’écrivain doit donc proposer quelque chose qui sert à voir le monde. Il y a des écrivains qui ont transformé mon regard : ils m’ont aidé à observer le monde de manière plus fine et plus intelligente. L’écrivain est celui qui aiguise le regard : il nous permet de voir les mêmes choses mais sous un angle différent, comme ces réalisateurs – Ozu, par exemple – qui placent leur caméra à un endroit différent de celui que choisissent les autres, un endroit qui procure une luminosité complètement différente. Le rôle de l’écrivain est de donner une vision du monde. « 

Le métier d’écrivain est un travail artisanal

La compréhension du métier d’écrivain par Philippe Djian est très éclairante sur la façon d’envisager l’écriture. Oui, être écrivain est un métier difficile. Il ne s’agit pas de se situer dans le mythe de celui qui saisit un stylo et qui, sous le joug d’une divine inspiration, se met à expulser de lui dans la souffrance existentielle et la jouissance esthétique des passages de pure génie. Cette vision romantique de l’écrivain n’existe pas. Il s’agit au contraire de prendre du plaisir à créer un texte pour un lecteur, et cette création exige de la pratique, de la pratique et encore de la pratique. C’est un artisanat. Un métier. D’ailleurs, ‘texte’ provient du latin textus qui signifie ‘tissu‘ et ‘trame‘. C’est ce tissu de sens qu’il faut apprendre à tisser.

Il apparaît donc que l’assiduité fait partie du processus d’écriture. Bien sûr, un écrivain professionnel s’astreint à une discipline quotidienne, comme dans n’importe quelle profession. Mais un écrivain amateur qui souhaite progresser doit lui aussi s’obliger un tant soit peu à écrire quotidiennement, même si le résultat, au début de la démarche, ne lui apparaît pas probant. C’est pourtant la seule manière d’acquérir et de confirmer son propre style.

Pour s’aider dans cette démarche et aussi pour se nourrir, il ne faut pas non plus hésiter à lire beaucoup. C’est Stephen King qui dit dans On writing qu’un bon texte « enseigne à l’écrivain débutant comment trouver son style, avoir une narration élégante, développer une intrigue, créer des personnages crédibles et une histoire vraisemblable ».

Dès lors, on comprend bien qu’écrire, pour un débutant, peut avoir un côté angoissant. Pour autant, la meilleure manière de sortir de cette angoisse, c’est de s’y mettre. Il est surprenant de voir comment, ensuite, les choses évoluent et comment les questions que l’on se posait finissent ou par trouver naturellement une réponse, soit par changer catégoriquement de nature !… Mais ceci est une autre histoire ! 🙂

En savoir plus sur le métier d’écrivain

En savoir plus sur Philippe Djian

Romans

  • Bleu comme l’enfer, Bernard Barrault, 1983 (adapté au cinéma en 1986 par Yves Boisset).
  • Zone érogène, Bernard Barrault, 1984
  • 37°2 le matin, Bernard Barrault, 1985 (adapté au cinéma en 1986 par Jean-Jacques Beineix). Rebaptisé Betty Blue par les traducteurs anglais et allemand.
  • Maudit Manège, Bernard Barrault, 1986
  • Échine, Bernard Barrault, 1988
  • Lent dehors, Bernard Barrault, 1991
  • Sotos, Gallimard, 1993
  • Assassins, Gallimard, 1994
  • Criminels, Gallimard, 1997
  • Sainte-Bob, Gallimard, 1998
  • Vers chez les blancs, Gallimard, 2000
  • Ardoise, Julliard, 2002
  • Ça, c’est un baiser, Gallimard, 2002
  • Frictions, Gallimard, 2003
  • Impuretés, Gallimard, 2005
  • Doggy Bag
    • saison 1, Julliard, octobre 2005
    • saison 2, Julliard, mars 2006
    • saison 3, Julliard, octobre 2006
    • saison 4, Julliard, avril 2007
    • saison 5, Julliard, novembre 2007
    • saison 6, Julliard, mai 2008
    • Impardonnables, Gallimard, 2009 (Prix Jean-Freustié 20093) (adapté au cinéma en 2011 par André Téchiné).
    • Incidences, Gallimard, 2010 (adapté au cinéma en 2013 par les frères Larrieu sous le titre « L’amour est un crime parfait »).
    • Vengeances Gallimard, juin 2011
    • « Oh… », Gallimard, 2012 Prix Interallié 2012
    • Love Song, Gallimard, 2013

Théâtre

  • Lui, L’Arche/Scène ouverte, 2008
  • Lui, Gallimard/Futuropolis, 2010 (mise en bande dessinée par Jean-Philippe Peyraud)

Nouvelles

  • 50 contre 1, Bernard Barrault, 1981
  • Crocodiles, Bernard Barrault, 1989
  • Lorsque Lou, Gallimard/Futuropolis, 1992, illustrations de Miles Hyman (paru durant l’été 1992 dans Le Nouvel Observateur sous le titre Sarah et les ours, réédité en 2008)
  • Contes de Noël, Méréal, 1996
  • Il dit que c’est difficile, Flohic (1er novembre 1998)
  • Mise en bouche, Gallimard/Folio, 2008 (originalement supplément du magazine Inrockuptibles, 2003)
  • Mise en bouche, Gallimard/Futuropolis, 2008 (mise en bande dessinée par Jean-Philippe Peyraud)

Traductions

  • La Campagne de Martin Crimp, L’Arche, 2002
  • Tendre et Cruel de Martin Crimp, L’Arche, 2004
  • Le Gardien de Harold Pinter, Gallimard, Du monde entier, 2006
  • Into the Little Hill, de Martin Crimp, L’Arche, 2006
  • La Ville, de Martin Crimp, L’Arche, 2008
  • Le Retour, de Harold Pinter, Gallimard, Du monde entier, 2012
  • Dans la République du bonheur, de Martin Crimp, L’Arche, 2013

Entretiens

  • Entre nous soit dit, Jean-Louis Ezine, Pocket, 1995
  • Au plus près, Catherine Moreau, La Passe du Vent, 1999
  • Philippe Djian revisité, Catherine Flohic, Les Flohic éditeurs, 2000

Cinéma – Adaptations de ses romans

  • 1986 : Bleu comme l’enfer, adapté de son roman homonyme par Yves Boisset.
  • 1986 : 37°2 le matin, adapté de son roman homonyme par Jean-Jacques Beineix.
  • 2011 : Impardonnables, adapté de son roman homonyme par André Téchiné.
  • 2013 : L’amour est un crime parfait, adapté d’Incidences par Arnaud et Jean-Marie Larrieu.

Scénariste

  • 2004 : Ne fais pas ça de Luc Bondy dont il a écrit le scénario.
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