OULIPO signifie ‘ouvroir de littérature potentielle’. Il s’agit d’un groupe international constitué de mathématiciens et de littéraires qui n’est, au dire de ses membres, ni un mouvement littéraire, ni un séminaire scientifique, ni un laboratoire d’écriture aléatoire. Créé en 1960 par le mathématicien Le Lionnais et par l’écrivain Raymond Queneau, OULIPO réfléchit avant tout sur la notion de contrainte afin de produire de nouvelles structures encourageant à la création. Beaucoup d’ateliers d’initiation à l’écriture s’appuient ainsi sur OULIPO pour faire découvrir de nouvelles techniques (ce qui n’est d’ailleurs pas le cas de PluMe, même s’il nous arrive d’évoquer la question.) Ceci donne des jeux de mots assez ludiques. Nous allons en voir quelques uns ici.

OULIPO ou l’art de la contrainte

OULIPO possède de grands participants : de Georges Perec à Italo Calvino en passant par Noël Arnaud et bien d’autres, le groupe naît également de plusieurs mathématiciens parfois poètes comme Jacques Roubaud ou Olivier Salon. Tous considèrent les contraintes littéraires comme de puissants ferments d’imagination créative, selon deux directions. Le synthoulipisme, qui est une recherche de contraintes ; et l’anoulipisme qui recherche tous les textes des écrivains ayant travaillé avec des contraintes, plus ou moins consciemment, avant l’existence d’OULIPO.

L’objectif des contraintes est paradoxalement d’arriver à libérer l’écriture, notamment en se défaisant de l’aléatoire et des automatismes de l’inconscient. Cet anti-hasard est fondamental pour OULIPO, d’où l’idée d’une littérature potentielle.

Quelques contraintes célèbres d’OULIPO

Voici quelques contraintes parmi les plus célèbres :

  • S+n : par exemple si n=7, il s’agit de remplacer dans un texte tous les substantifs (S) par le septième rencontré après lui dans le dictionnaire.

« L’Étranger » de Baudelaire devient  « L’étreinte » :
– Qui aimes-tu le mieux, homochromie ennéagonale, dis ? ta perfection, ton mérinos, ta soif ou ton frétillement ?
– Je n’ai ni perfection, ni mérinos, ni soif, ni frétillement.
– Tes amidons ?
– Vous vous servez là d’un paros dont la sensiblerie m’est restée jusqu’à ce jouteur inconnue.
– Ton patron ?
– J’ignore sous quel laudanum il est situé.
– Le bécard ?
– Je l’aimerais volontiers, défaut et immortel.
– L’orangeade ?
– Je la hais, comme vous haïssez Différenciation.
– Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étreinte ?
– J’aime les nucléarisations… les nucléarisations qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleuses nucléarisations !

  • Cette recherche a été plus loin, du type A+7, Sm+7, Sf+7, V+7. (on a compris qu’il s’agit des adjectifs, des substantifs masculins ou féminins, ou des verbes.) Ceci donne des textes très spécifiques, comme celui-ci de Raymond Queneau où on reconnaît une fable de la Fontaine bien connue :

  LA CIMAISE ET LA FRACTION

La cimaise ayant chaponné tout l’éternueur
se tuba fort dépurative quand la bixacée fut verdie :
pas un sexué pétrographique morio de moufette ou de verrat.[…]

  • Le lipogramme : il s’agit d’écrire un texte en n’utilisant pas une ou plusieurs lettres. Par exemple, La Disparition de Perec est un roman sans l’utilisation de la lettre e.

« Anton Voyl n’arrivait pas à dormir. Il alluma. Son Jaz marquait minuit vingt. Il poussa un profond soupir, s’assit dans son lit, s’appuyant sur son polochon. Il prit un roman, il l’ouvrit, il lut; mais il n’y saisissait qu’un imbroglio confus, il butait à tout instant sur un mot dont il ignorait la signification.
Il abandonna son roman sur son lit. Il alla à son lavabo; il mouilla un gant qu’il passa sur son front, sur son cou.
Son pouls battait trop fort. Il avait chaud. Il ouvrit son vasistas, scruta la nuit. Il faisait doux. Un bruit indistinct montait du faubourg. Un carillon, plus lourd qu’un glas, plus sourd qu’un tocsin, plus profond qu’un bourdon, non loin, sonna trois coups. Du canal Saint-Martin, un clapotis plaintif signalait un chaland qui passait.
Sur l’abattant du vasistas, un animal au thorax indigo, à l’aiguillon safran, ni un cafard, ni un charançon, mais plutôt un artison, s’avançait, traînant un brin d’alfa. Il s’approcha, voulant l’aplatir d’un coup vif, mais l’animal prit son vol, disparaissant dans la nuit avant qu’il ait pu l’assaillir. »

  • L’alexandrin greffé, comme par exemple le Mallurset : prendre le premier hémistiche d’un alexandrin d’un auteur, puis le second d’un alexandrin d’un autre auteur (ici Mallarmé et Musset) afin de créer un nouveau poème.

À quatre pas d’ici sont les chants les plus beaux.

On apprend à hurler le soir au fond des bois.

  • Le poème fondu : on tire d’un poème un autre poème en utilisant quelques mots du poème-source, avec la ponctuation qu’on souhaite et dans l’ordre qu’on veut. Par contre les mots du poème-source sont respectés à l’accent près.

Fusion du quatrain de Victor Hugo tiré des Feuillets d’automne :

Elle court aux forêts où dans l’ombre indécise
Flottent tant de rayons, de murmures, de voix,
Trouve la rêverie au premier arbre assise,
Et toutes deux s’en vont ensemble dans les bois !

Donne l’haïku suivant :

Tant de forêts flottent,
l’arbre court, les bois s’en vont
ensemble dans l’arbre.

  • Contrainte de Delmas : un énoncé répond à la contrainte de Delmas si on peut y remplacer la lettre initiale des mots significatifs par une autre lettre et obtenir ainsi un nouvel énoncé signifiant.

« Longtemps je me suis _ouché de bonne heure »

Avec c, m, b ou t.

  • L’anaérobie : il faut asphyxier le texte en le privant d’R. L’inverse est possible, ce qui se nomme l’aération. On peut aussi rogner les L d’un texte, ou le mettre au régime sans T.

cette rosse amorale a fait crouler le parterre (cet os à moelle a fait couler le pâté)

  • L’émir : Un mot B est un émir direct d’un mot A si les p dernières lettres de B (p>=2) sont le palindrome des p dernières lettres de A. B est un émir (au sens large) de A s’il existe une suite finie X(i) de mots (0 inférieur ou égal à i et i inférieur ou égal à n) tels que X(0)=A, X(n)=B et, pour tout i, X(i+1) est un émir direct de X(i). Une suite ayant la propriété précédente s’appelle un émirat.

sonnet en émirs

C’était un grand as du vélo

Il ne faisait jamais d’épate

Mais il remportait mainte étape

En s’échappant au pied d’un col

Hélas (je sais, c’est du mélo)

Un jour, lisant Milarepa

Il chût à Châteauneuf du Pape

Honteux il sombra dans l’alcool

Il voulut se donner la mort

Par noyade sous le maëlstrom

Mais le tourbillon l’écartant

Il laissa sans cérémonie

Nouvel Empédocle son frein

Au bord du cratère d’Etna

En savoir plus sur OULIPO

  • La Littérature potentielle (1973)
  • Atlas de littérature potentielle (1981) tous deux écrits sous le nom collectif d’« Oulipo » et publiés d’abord dans la collection « Idées » de Gallimard, puis réédités en Folio essais.
  • Abrégé de littérature potentielle, Éditions Mille et une nuits, n° 379
  • Maudits, Éditions Mille et une nuits, n° 419
  • Pièces détachées, Éditions Mille et une nuits, tous trois écrits sous le nom collectif de l’« Oulipo »
  • La Bibliothèque oulipienne chez Seghers, puis au Castor Astral, qui réunit les fascicules publiés par les Oulipiens pour leurs amis à 150 exemplaires seulement (numérotés), sous le nom de La Bibliothèque Oulipienne
  • Moments oulipiens au Castor Astral, recueil de courtes anecdotes et réflexions, présentées par les oulipiens eux-mêmes
  • Genèse de l’Oulipo, qui rassemble les comptes rendus des premières réunions de 1960 à 1963, par l’oulipien Jacques Bens, au Castor Astral
  • Un essai, Esthétique de l’Oulipo, publié par l’oulipien Hervé Le Tellier au Castor Astral
  • Une anthologie, Anthologie de l’Oulipo, dans la collection « Poésie » de Gallimard (2009)
  • C’est un métier d’homme, (2010), Éditions Mille et une nuits, variations d' »autoportraits » à partir d’une nouvelle de Paul Fournel
  • L’Oulipo court les rues (de Paris), P.O.L, 2012
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