Plus belle la vie : une écriture complexe

Plus belle la vie, c’est une réussite de la télévision française extraordinaire. Cette série ressemblant un peu aux telenovelas lusophones a été diffusée pour la première fois le 30 août 2004. Dix ans plus tard, le succès de la série marseillaise ne se dément pas. C’est la série la plus regardée en France, avec des pics d’audience à plus de six millions de téléspectateurs. En Europe, seuls Coronation street (Grande-Bretagne) et Lindenstraße (Allemagne) ont une plus grande longévité. Or, l’écriture scénaristique de Plus belle la vie est l’un des secrets de sa réussite : comment fait-on pour tenir en haleine autant de téléspectateurs aussi longtemps ? Voici quelques éléments d’explication…

Plus belle la vie : une structure narrative systématique

Plus belle la vie n’est pas seulement une suite d’histoires successives. La série met en scène  trois histoires simultanées, chacune avec son propre schéma narratif et une temporalité spécifique. C’est l’un des secrets de sa popularité.

Chaque histoire fonctionne selon sa durée et ses personnages propres. Les scénaristes les appellent des « arches », ce qui résume très bien ce qu’elles sont : des structures qui s’ancrent dans un univers et qui relient les épisodes entre eux.

Car Plus belle la vie est immergée dans le réel, y compris dans la temporalité du réel : à Noël, le 24 décembre, l’épisode diffusé se passe également le 24 décembre. Ceci donne donc tout son sens à la temporalité du récit et justifie le principe d’arches, sachant qu’un épisode dure environ 22 minutes sans les génériques. Ainsi, la règle est qu’un épisode retrace 24 heures. De la même manière, les week-end ne sont jamais montrés, seulement évoqués le lundi par les personnages. Ce traitement du temps rend la vie des personnages extrêmement dense, ce qui participe du succès de l’émission : les temps morts sont rares dans Plus belle la vie et leur quotidien est celui des spectateurs. Ceci favorise mimesis et catharsis… 

L’arche A, la plus complexe, est l’intrigue principale qui va se dérouler pendant plusieurs semaines. Cette histoire est souvent tragique et à connotation policière : depuis les débuts de la série, des dizaines de personnages ont été tués par meurtres et des dizaines d’autres sont en prison ou en fuite. L’arche B est plus courte, une semaine ou deux, et dépeint une intrigue secondaire, particulièrement enracinée dans le réel social. Il s’agit aussi d’histoires sentimentales qui permettent de donner corps aux personnages. Il reste enfin l’arche C, plus légère et souvent humoristique, qui retrace la vie quotidienne des habitants du Mistral et qui dure le temps d’un ou de deux épisodes. Secondaire, elle permet aux personnages d’incarner ce que tout le monde est susceptible de vivre dans la vraie vie.

Plus belle la vie : un imaginaire sans cesse renouvelé pour les scénaristes

Un épisode de Plus belle la vie est donc constitué de 350 répliques et 17 séquences en moyenne. Cette structure systématisée permet de guider le travail scénaristique en préservant la durée des épisodes sans pour autant que les téléspectateurs aient l’impression que l’histoire se répète.

Il existe deux équipes de scénaristes : les uns s’occupent des intrigues concernant les trois arches, les autres des dialogues – ce ne sont pas les mêmes !

Ainsi, des réunions éditoriales ont lieu très régulièrement à Paris, chaque semaine, le jeudi, se plaquant sur la disponibilité des acteurs et sur l’actualité. A chaque réunion, un débat est organisé afin de trouver des idées, sur le mode du « brain storming ». A l’issue de ce débat d’idées, les scénaristes sont associés en binômes pour réfléchir à des projets de séquences. Un synopsis est alors imaginé en deux heures. A la suite de quoi les synopsis sont mis en commun, et les auteurs partent écrire leurs séquences pour une livraison au directeur éditorial le lundi suivant. Ceci fait des week-end que l’on devine chargés et studieux.

Le directeur éditorial répartit ensuite les séquences sur les trois axes narratifs selon une structure de cinq épisodes, et chaque auteur a alors deux jours pour écrire seul son propre épisode. Il rend un document de cinq pages indiquant pour chacune des dix-sept séquences le décor, les personnages, les actions et un résumé des conversations.

Une nouvelle équipe de scénaristes prend alors le relais pour écrire les dialogues. Ceux-ci se réunissent le lundi après-midi, aidés de psychologues et de juristes. Chaque auteur devra ensuite écrirelui aussi son épisode, soit 350 répliques, en une semaine.

Cette première version, dite la « V1 », est confiée à la conseillère fiction de France 3 et à l’équipe technique du plateau à Marseille, qui renvoie une copie annotée dix jours plus tard. Il y a alors harmonisation des dialogues et respect du ton Plus belle la vie par une ultime correction qui demande une nouvelle semaine. L’objectif est aussi de respecter l’équilibre entre les trois arches et de s’assurer de la cohésion du tout, les épisodes étant censés se succéder sans rupture.

Cette « V2 » est alors renvoyée à Marseille pour validation : l’équipe technique vérifie bien que les 22 minutes ne seront pas dépassées, et une ultime correction est appliquée aux dialogues, ce qui ne touche habituellement pas plus de dix répliques.

L’épisode sera tourné trois semaines plus tard.

Il faut donc 39 jours pour créer le scénario d’un épisode, ce qui est particulièrement court… et ceci sans la moindre interruption toute l’année, sauf pour certains événements spécifiques comme Roland Garros, les Jeux Olympiques ou la Coupe du Monde de football. Une saison comporte en effet 260 épisodes, c’est-à-dire cinq par semaine pour une année. C’est dire l’ampleur inouïe du projet qui, encore une fois, dure depuis dix ans !

Plus belle la vie : une machine de guerre

On le voit, la procédure d’écriture ne plaisante pas et est extrêmement formalisée, tout comme la structure-même des épisodes. Et de la même manière, tout le système de tournage, de gestion du temps et des moyens, est lui-même millimétrique. Il s’agit bel et bien d’un processus industriel.

Un épisode, c’est seize acteurs (sur trente au total). L’équipe de tournage dispose de cinq studios à Marseille, à la Belle de Mai, où sont reconstitués sur 3000 m² un quartier, un commissariat, un hôpital et des appartements. Chaque personnage important dispose en effet d’un décor privé (son chez lui) et d’un décor public (son lieu de travail). La costumière peut quant à elle piocher dans plus de dix-mille costumes !

Les acteurs, souvent des comédiens issus du monde du théâtre, reçoivent leurs dialogues dix jours avant le tournage. Le jour J, ils sont coachés afin de viser à l’efficacité. Puis chaque séquence est tournée d’une manière tout aussi systématique : deux axes et trois caméras, afin que chaque jour, un épisode entier soit dans la boîte avec un pré-montage en direct. Cela est à comparer avec le tournage d’un long métrage au cinéma, où chaque jour, on ne tourne que deux minutes utiles de film…

Un story-board est disponible sur une tablette, et les acteurs évoluent au gré des décors qui sont tous immédiatement disponibles selon ce story-board. Chaque épisode est régi par deux réalisateurs, et les acteurs ont pour consigne de faire le moins de prise possible. Les scènes sont rarement tournées plus de deux fois. Aussi le travail est-il lui aussi soigneusement calibré. La série est réputée pour ses horaires toujours respectés, y compris le soir.

Derrière, la post-production elle-même est parfaitement rodée et optimisée. Un serveur, le Nodal, stocke toutes les images. Les équipes de post-production disposent de cinq bancs de montage et mixent son, musique et effets spéciaux en un minimum de temps. Un épisode demande une journée d’assemblage, une demie-journée de retouche, une demie-journée de maquette, une journée de montage son, une d’étalonnage… Les effets spéciaux sont utilisés le plus possible en numérique, pour des raisons de coût. Au total, ce sont 150 personnes qui travaillent pour une semaine de tournage. Dont une équipe de 30 auteurs, qui sont parmi les seuls en France à être des auteurs salariés !

Mais il fallait bien ça pour transformer une simple série télé en véritable fait de société !… Plus belle la vie est devenue au fil du temps une référence méthodologique en la matière, dont s’inspirent jalousement les maîtres du genre, y compris… le Brésil ! Quand on vous disait qu’en France, on n’avait pas de pétrole, mais des idées !…

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