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La rhétorique ou l’art d’un style persuasif

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De la rhétorique, on dit souvent qu’elle est l’art de persuader par le langage. C’est en tout cas la définition que les Grecs lui donnaient comme ‘technique oratoire’. La rhétorique, aujourd’hui, est surtout l’étude structurée de la manière dont un discours, parlé ou écrit, agit sur les esprits. Les spécialistes contemporains comme Michel Meyer ou Roland Barthes y réfléchissent selon trois grands principes classiques, logos, pathos et êthos en liant profondément la rhétorique à la linguistique. Ainsi, la stylistique, qui est l’étude du style littéraire, est-elle directement issue de la rhétorique classique. Nous allons voir en quoi cette approche est nécessaire pour comprendre le travail d’écriture littéraire.

Rhétorique : logos, pathos et êthos

La rhétorique est issue d’un discours rationnel, le logos (λόγος) qui signifie ‘verbe’, ‘parole’, ‘discours’. Ce discours, parlé ou écrit, utilise en effet la logique pour convaincre. Bien évidemment, ceci concerne tous les discours, y compris les récits de fiction romanesque. Il faut bien que ce qui est écrit dise quelque chose, et la conviction, ici, peut consister à faire entrer le lecteur dans l’univers dépeint. Vraisemblance, mentir-vrai sont des notions qui parleront aux participants de PluMe 😉 . L’ami Socrate, en tant que philosophe, considère ainsi la rhétorique comme étant purement construite par le discours rationnel, ce fameux logos.

Mais la rhétorique ne se borne pas à ne s’adresser à la raison d’un auditoire que par la logique rationnelle. On pense bien qu’il existe un rapport émotionnel entre l’orateur et son public, ou entre l’écrivain et son lecteur. Nous sommes ici dans le pathos (πάθος), mot qui signifie ‘souffrance’, ‘émotion’, ‘passion’. Car il s’agit bien de séduire, de charmer l’auditoire, de l’accrocher comme on dit aujourd’hui en communication. Et pour cela, on utilise trois armes : on lui pose un questionnement qui va l’impliquer corps et âme ; on induit chez lui un sentiment, comme l’amour, la haine ou la révolte ; et on suscite sympathie, empathie ou antipathie, c’est-à-dire plaisir ou déplaisir. On se rend bien compte que ces ressorts du pathos rhétorique sont tous utilisés en publicité. Mais aussi dans l’écriture du roman, où, par exemple pour créer un bon thriller, l’auteur n’hésite pas à choquer le lecteur en décrivant de manière clinique – sans sentiment, donc – des faits atroces qui poussent le lecteur à prendre parti en ressentant l’horreur des situations dans sa chair, ce qui produit paradoxalement du noir plaisir…

Puis la rhétorique s’appuie également sur la notion d’image de l’orateur, qu’on appelle l’êthos (‘ἦθος), mot qui signifie ‘manière d’être’, ‘habitude’, ‘caractère habituel’. Car il faut bien que l’auditoire puisse entrer dans l’allocution, et c’est par l’êthos que cela se produit, l’orateur portant son discours à travers ce qu’il est.

La linguistique contemporaine, notamment à travers Roland Barthes, réinvestit ces trois plans classiques de la rhétorique, en considérant que l’êthos est lié à l’émetteur (celui qui parle), le pathos au récepteur (celui qui écoute) et le logos au message (ce qui est dit). Ceci a profondément influencé la communication moderne et, plus loin, la manière dont on a ensuite envisagé la linguistique notamment grâce à des chercheurs comme le Groupe µ (université de Liège) ou Marc Fumaroli. Barthes replace la linguistique comme un trait fondamental de la société de consommation et montre qu’il existe une seule forme de rhétorique qui embrasse tous les types de messages, le texte évidemment, mais aussi les images et même les mythe et l’imaginaire. C’est grâce à la rhétorique que Roland Barthes fonde la sémiotique, à savoir la science des signes !…

La stylistique naît de la rhétorique

Plus loin, la rhétorique donne donc naissance à la sémiotique, mais aussi à la stylistique ! La stylistique est l’étude de la production littéraire qui considère justement que l’écriture littéraire n’est qu’un type de discours spécifique. Charles Bally dans son Traité de stylistique française, précise que la stylistique « étudie la valeur affective des faits du langage organisé, et l’action réciproque des faits expressifs qui concourent à former le système des moyens d’expression d’une langue ». Le style est donc constitué de procédés de langage, de modes d’expression et de composition qui sont propres certes à une langue, mais même, aussi, à un auteur.

Car à l’instar de Buffon, on peut considérer le style comme l’écart existant entre la langue d’un auteur et la norme linguistique. Cet écart vise à produire une émotion particulière chez le lecteur. En des termes linguistiques, on dira que le style provoque donc bel et bien des effets de sens. On constate que cette notion d’écart est parfaitement inscrite dans une approche structuraliste de la langue…

Ceci signifie aussi que le style est issu d’un choix : face à toutes les possibilités offertes par la langue pour transmettre un message, le locuteur (l’écrivain) choisit une seule de ces possibilités – concernant la syntaxe, la morphologie de la phrase, le lexique, l’ordre des mots, etc. – pour l’effet de sens particulier qu’il va produire chez le destinataire (lecteur).

Aussi, l’étude de la narration fait partie intégrante de la stylistique, au même titre que celle des figures de style ou de l’énonciation.

Ecrire, c’est être soi

Dès lors, écrire d’une manière littéraire, c’est aussi et surtout s’assumer pour assumer les particularités de sa propre langue. Celles-ci sont une véritable richesse, comme on peut le comprendre, puisqu’elles permettent de créer des effets de sens inédits pour le lecteur. Par son style, l’auteur tisse un véritable lien fort avec le lecteur et permet cette œuvre de conviction nécessaire qui va pousser le lecteur à pénétrer sans réserve dans l’imaginaire de l’auteur.

Depuis Roland Barthes et les années 60, on considère donc l’écriture comme la manière dont l’écrivain lui-même envisage la place de son écriture par rapport à une écriture neutre, ce qu’il appel le degré zéro de l’écriture. Cette « écriture neutre » n’existe pas réellement, elle est théorique et issue de la langue qui est collective, archaïque et normée. Un écrivain réinvestit cette langue neutre en lui offrant des marques propres, des écarts, des inventions pour créer cette fabulation crédible qui masque une absence de réalité. Car encore une fois, un roman, ce ne sont que des mots, de la fiction, il n’y a rien de palpable dans un univers romanesque. Et pourtant on y cherche un univers vraisemblable qui ressemble au réel pour pouvoir s’y immerger.

Ainsi, la langue est du côté du monde, et celle de l’écrivain du côté de l’imaginaire. L’objectif de l’écriture littéraire est peut-être de réconcilier les deux, et le style une manière d’englober le monde en s’insérant, par une langue unique, individuelle, quasi-physiologique, dans l’esprit d’un temps et d’une société.

On voit donc bien que rhétorique et stylistique sont deux piliers de l’écriture littéraire. La bonne nouvelle, c’est que chacun possède les siennes propres et qu’il n’est donc pas besoin de se faire de souci sur ce sujet. La moins bonne, c’est que comme tout fait de langue, si on souhaite créer des effets de sens maîtrisés, il faut travailler…

C’est aussi la raison pour laquelle le métier d’écrivain est un art autant qu’un artisanat ! 🙂

En savoir plus

Un extrait du Degré zéro de l’écriture de Roland Barthes

 

L’artisanat du style

« La forme coûte cher », disait Valéry quand on lui demandait pourquoi il ne publiait pas ses cours du Collège de France. Pourtant il y a eu toute une période, celle de l’écriture bourgeoise triomphante, où la forme coûtait à peu près le prix de la pensée; on veillait sans doute à son économie, à son euphémie, mais la forme coûtait d’autant moins que l’écrivain usait d’un instrument déjà formé, dont les mécanismes se transmettaient intacts sans aucune obsession de nouveauté ; la forme n’était pas l’objet d’une propriété; l’universalité du langage classique provenait de ce que le langage était un bien communal, et que seule la pensée était frappée d’altérité. On pourrait dire que, pendant tout ce temps, la forme avait une valeur d’usage. Or, on a vu que, vers 1850, il commence à se poser à la Littérature un problème de justification : l’écriture va se chercher des alibis; et précisément parce qu’une ombre de doute commence à se lever sur son usage, toute une classe d’écrivains soucieux d’assumer à fond la responsabilité de la tradition va substituer à la valeur-usage de l’écriture, une valeur-travail. L’écriture sera sauvée non pas en vertu de sa destination, mais grâce au travail qu’elle aura coûté. Alors commence à s’élaborer une imagerie de l’écrivain-artisan qui s’enferme dans un lieu légendaire, comme un ouvrier en chambre et dégrossit, taille, polit et sertit sa forme, exactement comme un lapidaire dégage l’art de la matière, passant à ce travail des heures régulières de solitude et d’effort : des écrivains comme Gautier (maître impeccable des Belles Lettres), Flaubert (rodant ses phrases à Croisset), Valéry (dans sa chambre au petit matin), ou Gide (debout devant son pupitre comme devant un établi), forment une sorte de compagnonnage des Lettres françaises, où le labeur de la forme constitue le signe et la propriété d’une corporation. Cette valeur-travail remplace un peu la valeur-génie; on met une sorte de coquetterie à dire qu’on travaille beaucoup et très longtemps sa forme; il se crée même parfois une préciosité de la concision (travailler une matière, c’est en général en retrancher), bien opposée à la grande préciosité baroque (celle de Corneille par exemple); l’une exprime une connaissance de la Nature qui entraîne un élargissement du langage; l’autre, cherchant à produire un style littéraire aristocratique, installe les conditions d’une crise historique, qui s’ouvrira le jour où une finalité esthétique ne suffira plus à justifier la convention de ce langage anachronique, c’est à dire le jour où l’Histoire aura amené une disjonction évidente entre la vocation sociale de l’écrivain et l’instrument qui lui est transmis par la Tradition.

Flaubert, avec le plus d’ordre, a fondé cette écriture artisanale. Avant lui, le fait bourgeois était de l’ordre du pittoresque ou de l’exotique; l’idéologie bourgeoise donnait la mesure de l’universel et, prétendant à l’existence d’un homme pur, pouvait considérer avec euphorie le bourgeois comme un spectacle incommensurable à elle-même. Pour Flaubert, l’état bourgeois est un mal incurable qui poisse-à l’écrivain, et qu’il ne peut traiter qu’en l’assumant dans la lucidité ce qui est le propre d’un sentiment tragique. Cette Nécessité bourgeoise, qui appartient à Frédéric Moreau, à Emma Bovary, à Bouvard et à Pécuchet, exige, du moment qu’on la subit de face, un art également porteur d’une nécessité, armé d’une Loi. Flaubert a fondé une écriture normative qui contient paradoxe les régies techniques d’un pathos. D’une part, il construit son récit par successions d’essences, nullement selon un ordre phénoménologique (comme le fera Proust); il fixe les temps verbaux dans un emploi conventionnel, de façon qu’ils agissent comme les signes de la Littérature, à l’exemple d’un art qui avertirait de son artificiel; il élabore un rythme écrit, créateur d’une sorte d’incantation, qui loin des normes de l’éloquence parlée, touche un sixième sens, purement littéraire, intérieur aux producteurs et aux consommateurs de la Littérature. Et d’autre part, ce code du travail littéraire, cette somme d’exercices relatifs au labeur de l’écriture soutiennent une sagesse, si l’on veut, et aussi une tristesse, une franchise, puisque l’art flaubertien s’avance en montrant son masque du doigt. Cette codification grégorienne du langage littéraire visait, sinon à réconcilier l’écrivain avec une condition universelle, du moins à lui donner la responsabilité de sa forme, à faire de l’écriture qui lui était livrée par l’Histoire, un art, c’est-à-dire une convention claire, un pacte sincère qui permette à l’homme de prendre une situation familière dans une nature encore disparate. L’écrivain donne à la société un art déclaré, visible à tous dans ses normes, et en échange la société peut accepter l’écrivain. Tel Baudelaire tenait à rattacher l’admirable prosaïsme de sa poésie à Gautier, comme à une sorte de fétiche de la forme travaillée, située sans doute hors du pragmatisme de l’activité bourgeoise, et pourtant insérée dans un ordre de travaux familiers, contrôlée par une société qui reconnaissait en elle, non ses rêves, mais ses méthodes. Puisque la Littérature ne pouvait être vaincue à partir d’elle-même, ne valait-il pas mieux l’accepter ouvertement, et, condamné à ce bagne littéraire, y accomplir « du bon travail »? Aussi la flaubertisation de l’écriture est-elle le rachat général des écrivains, soit que les moins exigeants s’y laissent aller sans problème, soit que les plus purs y retournent comme à la reconnaissance d’une condition fatale.

4 Comments

  1. […] Car Plus belle la vie est immergée dans le réel, y compris dans la temporalité du réel : à Noël, le 24 décembre, l’épisode diffusé se passe également le 24 décembre. Ceci donne donc tout son sens à la temporalité du récit et justifie le principe d’arches, sachant qu’un épisode dure environ 22 minutes sans les génériques. Ainsi, la règle est qu’un épisode retrace 24 heures. De la même manière, les week-end ne sont jamais montrés, seulement évoqués le lundi par les personnages. Ce traitement du temps rend la vie des personnages extrêmement dense, ce qui participe du succès de l’émission : les temps morts sont rares dans Plus belle la vie et leur quotidien est celui des spectateurs. Ceci favorise mimesis et catharsis…  […]

  2. […] Roland Barthes a créé, dans ses Essais critiques, une belle distinction entre écrivain et écrivant. Un écrivant peut écrire à la perfection pour expliquer, témoigner, enseigner, en utilisant la langue comme un simple moyen d’expression. L’écrivain peut, lui, écrire dans une langue imparfaite, mais il propose une vision du monde, une description forte d’un point de vue. […]

  3. […] se donne bel et bien en spectacle par le jeu de la vérité. Objectif : faire en sorte que la mimesis avec le lecteur fonctionne au mieux. Le lecteur va se prendre pour cette femme-victime d’un […]

  4. […] met déjà en branle ce principe, à travers notamment les catégories aristotéliciennes de mimesis ou de catharsis. Le spectateur n’y voit pas le réel raconté sous la forme d’une chronique historique, mais […]

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