Structuralisme - un nouvel outil de compréhension de l'homme

On pourrait penser que le structuralisme n’a rien à voir avec des ateliers d’écriture. Mais en fait, si, et ce d’une manière assez directe. Simplement parce que le structuralisme, en sciences humaines, a révolutionné la manière d’appréhender le fait littéraire et, ainsi, l’écrit comme la langue. C’est quoi, le structuralisme ? Ce n’est pas si sorcier, mais ça mérite quelques explications…

La langue au milieu du structuralisme

Tout a commencé sous l’œil d’un éminent linguiste, un certain Ferdinand de Saussure. Ce saint homme donnait des cours de linguistique en Suisse a début du XXe siècle, devant des élèves absolument ébahis par son approche. Son objectif était de comprendre comment toutes les langues, quelles qu’elles soient, fonctionnent. De trouver en elles un point commun, une loi générale qui permette de toutes les étudier. Ceci a été possible en mettant en évidence des systèmes où chaque élément se définit par rapport aux autres éléments qui constituent l’ensemble de la langue, grâce à des relations d’équivalence ou au contraire d’opposition. Ces relations forment un ensemble, qui est la structure de la langue. Tout est paru en 1916 sous le titre Cours de linguistique générale.

Cette approche novatrice a fortement influencé la manière dont on pouvait tenter de comprendre les traits communs à tous les hommes. L’anthropologue Lévi-Strauss a donc, dans les années 50, tenté de s’approprier cette méthode pour saisir les liens de parenté unissant tous les humains : l’homme, d’où qu’il provienne, est un être pensant, social, parlant, et ces traits communs peuvent être envisagés sous un aspect scientifique. Cette optique vise à mettre en évidence une structure commune à tous, c’est-à-dire une organisation logique implicite mais objective, qui existe en deçà de la conscience et de la pensée. Cette approche de l’anthropologie donna donc naissance au structuralisme, qui souhaite mettre au jour les structures inconscientes et objectives qui régissent le fait humain indépendamment de toute autre considération.

Quand le structuralisme fait naître les sciences humaines

Quelques chercheurs et penseurs relayèrent cette approche et la théorisèrent, inventant par là-même ce qui a ensuite été appelé les sciences humaines. Il s’agit de Lacan, de Derrida, d’Althusser et d’un certain Michel Foucault.

Le structuralisme ne se penche pas sur les faits historiques ou individuels, mais sur les faits globaux, communs à toute l’humanité. Il met en évidence des structures fondamentales le plus souvent inconscientes, qui lient les hommes entre eux. Par exemple, c’est bien l’organisation sociale qui génère les pratiques et les croyances individuelles, et non l’inverse. Ceci est né d’un constat en linguistique, selon lequel toute langue constitue un système au sein duquel les signes se combinent et évoluent d’une manière qui s’impose aux acteurs et qui échappent totalement à ceux qui les utilisent. Ces lois linguistiques sont indépendantes de ceux qui parlent !

Face à ce constat, le structuralisme recherche l’explication d’un phénomène par l’importance qu’il prend au sein même d’un système, selon des lois d’association ou d’opposition qui restent immuables et indépendantes des individus. Lévi-Strauss explique même que « si l’activité inconsciente de l’esprit consiste à imposer des formes à un contenu, et si ces formes sont fondamentalement les mêmes pour tous les esprits, anciens et modernes, primitifs et civilisés – comme l’étude de la fonction symbolique, il faut et il suffit d’atteindre la structure inconsciente, sous-jacente à chaque institution et à chaque coutume, pour obtenir un principe d’interprétation valide pour d’autres institutions et d’autres coutumes. »

Le structuralisme comme outil plutôt que comme pensée

Aussi, le structuralisme n’est pas véritablement une pensée, et encore moins une philosophie. C’est plutôt une approche transversale, qui s’intègre dans tout type de fait humain. Linguistique, anthropologie, certes. Mais aussi étude de l’inconscient (psychanalyse lacanienne), du social (Althusser), de l’imaginaire (Durand) ou du fait littéraire (Foucault, Derrida…)

Le structuralisme changera la vision des sciences humaines des années 50 aux années 70. Il ira parfois fort loin dans la recherche de structures extrêmement abstraites, y compris en utilisant les mathématiques modernes et la théorie des ensembles ! Par exemple dans la recherche des formes canoniques des structures littéraires ou mythiques, la formule du mythe d’œdipe peut ainsi se noter :

Fx(a)≃Fy(a) :: Fy(b)≃F b-1(x)

A la suite des années 70, le structuralisme pur s’est dilué pour plusieurs raisons.

D’abord, parce que cette appréhension un peu mathématique du monde trouve vite ses limites : une modélisation, aussi précise soit-elle, ne reste qu’une modélisation.

Ensuite, parce que le structuralisme s’impose d’étudier un système à un moment donné, dans une optique dite ‘synchronique’, ce qui réduit la portée historique (ou dite ‘diachronique’) du système.

Enfin, parce que le structuralisme est extrêmement généralisant et qu’il ne tient pas compte de l’individu. Or, notamment dans le cadre des sociétés humaines, on sait fort bien que l’évolution historique est souvent issue de la conscience de quelques individus qui prennent des libertés avec la structure inconsciente collective. Par exemple, la recherche individuelle du bonheur est une motivation réelle qui transcende l’immuabilité des structures et qui fait évoluer la société tout entière.

Le structuralisme, lorsqu’il est sans concession, vide toute action individuelle de sens. L’individu peut donc bel et bien dépasser la globalité, et instiguer dans le monde de nouvelles pratiques. Ce en quoi le structuralisme, par ses outrances, peut être asséchant.

Le structuralisme comme étape forte dans l’histoire des sciences littéraires

Il n’en reste pas moins qu’à la suite du structuralisme, différents courants de pensée on intégré le structuralisme comme un puissant outil d’analyse du monde, enrichissant par là-même d’une manière drastique les sciences humaines. Enrichissement qui rejaillit de facto dans les ateliers d’écriture que nous proposons chaque semaine à des auteurs en devenir passionnés par le fait littéraire. Le structuralisme est devenu un outil parmi d’autres, mais un outil particulièrement performant pour tout ce qui concerne la structure narrative, notamment celle du roman !

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