La poésie est-elle tombée en désuétude ? Les éditeurs le prétendent et la vente de livres de poésie semble leur donner raison. Est-ce pour autant une raison de ne plus écrire de poésie ? Loin s’en faut : partout en France, il existe des cercles de poésie qui tentent de porter à bout de bras un héritage littéraire très fort en France. Chez PluMe, certains auteurs revendiquent leur amour et leur écriture de la poésie. Or, écrire de la poésie est complexe. Non pas parce que la poésie, pour être « réussie », doit rimer. Mais parce que ce genre est très ambigu. Il se donne en effet un grand nombre de contraintes. Aussi, pour savoir écrire en vers libres, il peut être très utile d’apprendre à écrire en versification classique pour, ensuite, s’échapper des règles. Voici donc un petit rappel des contraintes les plus habituelles en matière de versification classique…
Une approche syllabique en versification classique française
Le français est une langue syllabique, non accentuelle comme le grec ou l’anglais. Cela signifie qu’on mesure un vers français par son nombre de syllabes. Une syllabe, en français, est composée par une voyelle. On parle donc de syllabe vocalique.
La mesure du nombre de syllabes dans un vers est appelée la métrique. On compte le nombre de syllabes dans un vers pour en déterminer le type de mètre. Exemple :
Tu souris ! Un beau rêve est descendu des cieux –> 12 syllabes
La complexité du « e muet » en versification classique
Mais les choses ne sont pas aussi évidentes. En français courant, le « e muet » ne se prononce jamais. Ainsi, « je mange une pomme » se prononce, sans qu’on en ait conscience « jmanjunpom ». En linguistique, on appelle cette disparition l’amuïssement.
En poésie, le « e muet » se prononce dans certains cas. Il concerne les graphies « e », « es » ou « ent ».
Dans la versification classique, un « e muet » en fin de vers ne compte jamais pour une syllabe : on appelle cela une apocope. Exemple :
Pour goûter la saveur de tes lèvres vermeilles –> la terminaison en ‘es’ ne compte pas pour une syllabe, sinon ce vers de 12 syllabes en compterait 13 :
Pour / goû / ter / la / sa / veur / de / tes / lè / vres / ver / meilles
Dans le vers, le « e muet » compte comme une syllabe, sauf dans les cas suivants :
- Le « e muet » est suivi par une voyelle ;
- le « e muet » est suivi par un « h muet ».
Le « e » n’est pas muet quand :
- Il est suivi par une consonne ;
- quand le « e » est graphié « es » ou « ent ».
Cette règle est générale et fonctionne dans tous les cas.
Où tendent tous les fronts qui pensent et qui rêvent
Où / ten / dent / tous / les / fronts / qui / pen / sent /et / qui / rêvent -> 12 syllabes. Les deux premiers « e » sont graphiés « ent » et suivis d’une consonnent, ils se prononcent. Le dernier, comme il est en fin de vers, ne se prononce pas et ne compte donc pas pour une syllabe.
Le « e » à l’intérieur d’un mot est parfois élidé lorsqu’il est entre une voyelle et une consonne. On appelle cela une syncope.
Je ne t’envierai pas ce beau titre d’honneur
Je / ne / t’en / vie /rai / pas / ce / beau / ti / tre / d’hon / neur -> 12 syllabes, le « e muet » d’envierai ne compte pas pour une syllabe
Diérèses et synérèses, hiatus en versification classique
Le problème est que dans certains cas, on compte des syllabes dans certains mots qui ne sont pas comptées en langage courant, afin que le vers respecte la métrique générale du poème. Par exemple, en français courant, « passion » comporte deux syllabes, « pas / sion ». En poésie, il peut arriver que ce même mot soit décomposé en trois syllabes : « pas / si / on ». Ceci est une diérèse et sert aussi à un effet de sens.
La nation chérie a violé sa foi -> 12 syllabes
La / na / ti / on / ché / rie / a / vi / o / lé / sa / foi : une diérèse à « nation », et un hiatus à « violé » (voir plus bas)
Le phénomène inverse peut exister. Ainsi, le mot « hier », deux syllabes en langage courant, peut être considéré comme n’en comportant qu’une seule. Il s’agit alors d’une synérèse.
Hier, j’étais chez des gens de vertu singulière -> 12 syllabes
Hier / j’é / tais /chez / des / gens / de / ver/ tu / sin / gu / lière : synérèse sur « hier ». On remarque que la dernière syllabe finit par un « e muet », elle ne compte donc pas (« ère »)
L’hiatus désigne la rencontre entre deux voyelles, qui comptent dès lors chacune pour une syllabe. Ceci peut exister dans un seul mot (« bouée ») ou dans deux mots qui se suivent (« ravi à« ). En principe, sauf effet de sens, le poète cherche à éviter les hiatus.
Les types de vers en versification classique
Il existe un grand nombre de types de vers caractérisés par leur nombre de syllabes :
- Tétrasyllabe : 4 syllabes ;
- pentasyllabe : 5 syllabes ;
- hexasyllabe : 6 syllabes ; dans un alexandrin à 12 syllabes, la moitié du vers de six syllabes est plutôt appelée hémistiche ;
- heptasyllabe : 7 syllabes ;
- octosyllabe : 8 syllabes ;
- ennéasyllabe : 9 syllabes ;
- décasyllabe : 10 syllabes ;
- hendécasyllabe : 11 syllabes ;
- alexandrin : 12 syllabes.
La rime en versification classique
Le type de rimes provient de la manière dont elles sont agencées et font alterner les sons des dernières syllabes du vers.
- AAAA : rimes continues ;
- AABB : rimes plates ;
- ABAB : rimes croisées ;
- ABBA : rimes embrassées ;
- ABCABC : rimes alternées ;
- AABCCBDDB : rimes tripartites ;
- AAABCCCBDDDB : rimes quadripartites.
La fin d’un vers et le début d’un suivant sont pris en considération. Le vers peut se suivre dans son sens, comme s’il continuait dans le vers suivant : il s’agit d’un enjambement. En versification classique, on considère que les vers sont coupés en leur moitié (quand ils sont de nombre pair de syllabes), cette coure s’appelant une césure, ce qui permet d’assurer un beau parallélisme dans les enjambement, l’objectif final étant que le rythme du vers ne souffre pas de cet enjambement.
Féminin et masculin
En poésie classique, on ne se contente pas seulement de faire alterner les sons. On alterne aussi les rimes masculines et féminines.
Une rime féminine se termine par un « e muet » (graphié « e », « es » ou « ent ») qui, donc, ne se prononce pas. Dans tous les autres cas, la rime est dite masculine.
Une rime masculine rime avec une rime masculine, une féminine avec une féminine. Ainsi, « florale » et « floréal » ne riment pas.
Singulier et pluriel
En poésie classique, le singulier et le pluriel ne sont pas la même chose qu’en grammaire. On parle de rime au pluriel quand un vers se termine par « s », « x » ou « z ». Ainsi, un vers qui finit par « tu peux » est considéré comme pluriel. Dans tous les autres cas, il s’agit de rimes au singulier. Une rime au pluriel doit rimer avec une rime au pluriel, au singulier avec une rime au singulier.
Pour résumer la situation, on fait toujours rimer une rime au féminin pluriel avec une rime au féminin pluriel !
Qualité de la rime en versification classique
Selon le nombre de sons qui riment, une rime peut être plus ou moins riche. En poésie classique, on évite la rime pauvre.
- Rime pauvre : seule la dernière voyelle tonique rime (aussi / lit) ;
- rime suffisante : deux sons en commun : la dernière voyelle tonique et une même consonne, avant ou après la voyelle (cheval / banal ou pela / fêla) ;
- rime riche : trois sons en commun : banal / chenal ;
- rime très riche : plus de trois sons en commun.
Strophes
La strophe est un groupement régulier de vers intégrant un système complet de rimes et de mètres. Il en existe un grand nombre de figures. En versification classique, toutes les strophes d’un poème sont souvent symétriques tout au long du texte, mais pas toujours. Ceci dépend du type de poème choisi.
- Le monostique : un seul vers ;
- le distique (ou couplet ou deuzain) : deux vers ;
- le tercet : trois vers ;
- le quatrain : quatre vers ;
- le quintil : cinq vers ;
- le sizain : six vers ;
- et ainsi de suite, jusqu’à 17 vers (le « dix-septain »).
Poèmes classiques
Le poème est constitué de strophes et impose un cadre stylistique préétabli, plus ou moins complexe suivant le nombre de strophe, l’alternance de rimes et le nombre de mètres à chaque vers. En voici les formes classiques les plus courantes.
- Ballade : trois strophes et demi dont le dernier vers constitue le refrain ; il y a autant de strophes que de syllabes dans le vers (10 ou 12) ;
- rondeau : 15 vers courts sur deux rimes ;
- ode : deux strophes égales plus une plus courte ;
- sonnet : deux quatrains, deux tercets avec alternance ABBA ABBA CCD EED ou ABBA ABBA CCD EDE…
Il existe bien d’autres formes poétiques. Ceci pourra faire l’objet d’un article ultérieur 🙂
En savoir plus sur la versification classique
- Michèle Aquien, La Versification, PUF, 2011
- Jean Mazaleyrat, Éléments de métrique française, Armand Colin, 1974
- Un site très bien fait sur cette problématique
9 Comments
[…] notre petite visite de la versification classique, il était impossible de ne pas s’attarder quelques instants sur le genre poétique majeur […]
Bonjour,
Je me permets quelques commentaires à propos du e caduc. D’après une statistique sur plusieurs milliers de mots, il apparaît que ce e caduc à l’intérieur d’un syntagme (défini par des respirations) est prononcé dans 46% des cas, amuissé dans 54 % des cas, ceci dans le cadre de lecture littéraire de la prose (exempls pris dans les lectures de litterature audio).
Concernant la poésie, le cas des e caducs au niveau de différents types de ponctuation pose un problème. il apparaît que ce e doit être toujours prononcé (comme vous le dites justement) même après une virgule et même après un point-virgule, un point d’explamation… La question est de savoir comment marquer la virgule, sachant qu’un arrêt temporel est relativement incompatible avec la prononciation du e caduc. Certains déclamateurs apocopent le e et marquent une césure, je pense plus conforme à l’alexandrin de ne pas marquer de temps d’arrêt, mais de compenser en appuyant un peu plus l’accent tonique
Pour plus de détails:
http://www.auteurs-auvergne-bourbonnais.fr/interface/sommaire.php
Bonjour,
merci pour toutes ces précisions, qui permettent de jeter une certaine lumière sur les difficultés de la versification classique.
Concernant le problème du « e » muet qui ne l’est plus quand il est écrit « es » ou « ent », je pense avoir trouvé un contre-exemple dans le « Phèdre » de Racine, vers 32 :
« Au tumulte pompeux d’Athènes et de la cour ? »
Effectivement, ici, on doit prononcer dans la seconde partie « d’Athèn/é/de la cour ».
Racine aurait-il pris des libertés avec les règles de la versification classique?
Oui, très certainement. Ceci arrivait, et on appelait cela une « licence poétique ».
« Au tumulte pompeux… »
Cette coquille est due à la négligence des copistes, Racine a écrit :
« Au tumulte pompeux d’Athènes, de la cour »(édition originale 1677)
Faire des vers selon les règles ne présente aucune difficulté pour qui a beaucoup lu les Classiques.
Si d’en composer moi me prend la fantaisie,
Je fais, vous le voyez, tous les vers qu’il me plaît.
Mais des alexandrins dont l’âme soit saisie…
(Je me relis, mon dieu, que ce quatrain est laid)
Voici une playlist édifiante
https://www.youtube.com/playlist?list=PLEIDvYC_9FHqTEPbzpVFEnaTQrr_KRCWl
Bonjour,
Je viens de poser la question en commentaire sous votre article sur la ponctuation, mais je me permets de la reposer, cet article semblant plus adapté. Je me demandais si après une virgule placée au milieu d’un vers on devait compter la syllabe précédant la virgule, comme dans l’exemple suivant : « L’enfant mange, sa mère aussi ». Cela conterait dans une poésie comme un vers de 8 syllabes ou plutôt de 7 syllabes ?
Merci d’avance,
Cordialement.
Merci pour cet article très clair !
Bonsoir,
A propos du e muet vous parlez de complexité. Cette complexité n’existe que par rapport à la prononciation du français standard. (« je mange une pomme » prononcé « jmanjunpom »). Cette complexité n’existe pas pour le méridional que je suis, puisque dans « je mange une pomme » je prononce presque tous les e, y compris celui de « pomme » sauf celui de « mange » qui est élidé, absorbé en quelque sorte par le u de « une ». De ce fait, si je me souviens bien des cours de français que je suivais il y a 60 ans sur les bancs du Lycée Thiers de Marseille, ni mes condisciples ni moi ne trouvions complexe la prononciation des vers. J’ajoute à propos du e de « pomme » que nous prononcions, et que je continue à prononcer le e caractéristique des rimes féminines. Cela qui rend parfaitement distincte l’alternance masculin/féminin qui est pour moi une des richesses de la versification, richesse dont se prive le français standard.
Cordialement
Jean-Pierre Mazet.