Du roman romantique au réalisme, du symbolisme au roman psychologique, l’histoire du roman est tout entière enracinée dans celle de l’histoire de la pensée. Et c’est cette pensée qui donne corps au roman. De ce fait, réel et roman se nourrissent mutuellement après la révolution. Si le monde tel qu’il est devient la principale source de préoccupation des romanciers, les romans eux-mêmes influencent le monde en retour comme des témoins du réel dénonçant ce qui, dans le monde, ne va pas. Aujourd’hui, nous allons nous pencher sur le début du XIXe, le siècle du roman roi !

Au XIXe siècle, le roman est donc mûr pour devenir un genre majeur, c’est-à-dire populaire. Un genre populaire n’est pas un genre limité par l’horizon de compréhension borné du petit peuple. Ce sens est plutôt issu des détracteurs du Front Populaire de 1936 en France. Un genre populaire, c’est au contraire un genre compris par tous et accepté à travers ses codes et ses finesses, par le plus grand nombre. Et comme le roman s’adresse à ce plus grand nombre, il acquiert une puissance de feu encore inégalée. Tout le monde se met à lire le roman.

Le roman : un genre progressivement populaire grâce aux Anglais

Ceci signifie, en creux, qu’un auteur peut avoir une audience très large relativement facilement, et qu’il gagne donc un statut social important, du point de vue de l’histoire des idées. Mais ceci n’est pas venu du jour au lendemain, et l’histoire des auteurs de romans est un peu tortueuse.

Encore, à la fin du XVIIIe siècle, ni Madame de Staël, ni La Harpe – qui possèdent une grande  audience et font référence dans le domaine littéraire – n’évoquent véritablement le genre du roman dans leurs histoires de la littérature. Ceci tend à démontrer que le roman n’est pas encore reconnu comme genre littéraire majeur dans l’élite du pays. Il est sans doute trop subversif et accorde à des auteurs inconnus – non issus de l’aristocratie – un pouvoir très mal mesuré.

Mais c’est bien du roman anglais, d’aventure ou gothique, que viendra la renommée du roman. N’oublions pas qu’au début du XIXe siècle, il n’existe en effet en France que trois genres romanesques considérés d’ailleurs comme des genres mineurs :

  • Le roman picaresque, décrivant l’ascension sociale d’un héros pauvre mais astucieux ;
  • Le roman sentimental, mettant en jeu de l’amour, des sentiments mais aussi une première approche psychologique ;
  • Le roman populaire, mélodramatique.
  • On y ajoutera les écrits philosophiques sous forme de contes, de lettres ou de dialogues, par exemple de Diderot, Voltaire ou Montesquieu.

Mais c’est bien en provenance d’Angleterre que certains auteurs français découvrent, par exemple avec Ivanoe, le roman historique. Il va révolutionner les possibilités du genre.

En effet, le roman historique démontre une chose fondamentale : dans un roman, on peut écrire des choses vraisemblables et analyser le monde sous différents aspects : historiques, certes, mais aussi psychologiques. On peut mettre en scène des sujets qui touchent tous les lecteurs de par leur universalité. Ceci va donner du grain à moudre aux auteurs français, et donner naissance au mouvement romantique.

Ce mouvement est fortement influencé notamment par Rousseau, mais aussi par les romantiques allemands (Goethe, Schiller, Novalis…) ou anglais (les soeurs Brontë, Cowper, Coleridge, Shelley,

Keats, Byron ou Scott…).

Le romantisme, courant décisif pour le roman français

On dit souvent d’un roman guimauve qu’il est ‘fleur bleue’. La ‘Fleur bleue’ trouve son origine dans le romantisme allemand en étant une notion devenue par la suite injustement péjorative. Elle représente la femme idéale à conquérir coûte que coûte chez Novalis. Ce thème sera extrêmement exploité par la suite. Car les romantiques découvrent, une fois passé le grand souffle de la Révolution française, des Lumières et des espoirs offerts par cette nouvelle façon de penser, que le monde replonge toujours dans le chaos. Peu importent les révolutions et ses espoirs, le chaos est une malédiction insurpassable pour l’homme.

D’ailleurs, en France, Napoléon instaure une dictature à la suite de la Terreur, ce qui donne raison au pessimisme ambiant. Les Lumières auraient-elles menti, pêchant par trop d’idéalisme ? Face à ce constat amer, nos romantiques tentent d’unir les contraires pour rechercher un idéal, idéal que les allemands nomment ‘sehnsucht‘ et qu’on traduirait à peu près par ‘Désir’.

Cet idéal souhaite dépasser les cruelles contradictions du réel – temps qui passe et mort qui approche, amour impossible, vérités à jamais cachées – afin de tendre à une certaine sérénité du monde, voire à un idéal consolateur de beauté ou de sagesse.

Les trois grands types de roman du début XIXe

En France, le romantisme donne naissance à trois types de romans fondamentaux qui découvrent chacun à leur manière les possibilités encore inconnues du genre en matière de finesse d’analyse du monde et de soi.

  • Le roman de l’âme met en scène la subjectivité d’un héros au cœur d’un monde en rupture avec lui, que ce soit à la première ou à la troisième personne. Cette rupture est au centre de l’analyse de l’auteur. Le héros va-t-il pouvoir la dépasser, va-t-il y échapper ou se faire engloutir ? C’est l’argument de romans de Chateaubriand, de Madame de Staël ou de Benjamin Constant. Ces œuvres décrivent l’impuissance de l’homme dans le monde, et la prérogative de la conscience sur les choses sans que l’action puisse y changer quoi que ce soit. On quitte là les personnages héroïques pour peindre des maladies de l’âme, que ce soit la folie chez Nerval ou la mélancolie chez Chateaubriand. On notera aussi une approche psychologique des personnages, ce qui est très novateur.
  • Le roman réaliste dépeint quant à lui le monde à travers un filtre qui se veut objectif. Les personnages y évoluent dans une profusion de détails, d’où un art de la description et de la mise en scène très aboutis dans ce courant dont Balzac et Stendhal sont des têtes de file. Pour autant, ce type d’approche littéraire implique bien vite l’idée que le monde est vu, malgré son apparente objectivité, à travers le filtre du regard des protagonistes. Ainsi, chez Balzac, les petits détails du quotidien dépeignent l’âme et l’intériorité des héros qui y évoluent. On nomme cela la réflexivité. Déjà, Rousseau jouait de ce principe, et Balzac le pousse très loin. Stendhal utilise le même art de la description, concernant cette fois ses personnages eux-mêmes. Ils se heurtent aux mêmes conclusions : je est un autre (comme le dit Rimbaud dans ses Lettres du voyant) et le mal du héros stendhalien, c’est la part d’ombre qui le hante à propos de lui-même ou des autres. On notera le fort développement, dans le genre du courant réaliste, du narrateur omniscient, qui en connaît donc beaucoup plus sur le monde que les personnages mis en scène.
  • Il existe aussi des romans tordant la réalité pour immerger le monde au fur et à mesure dans le fantastique. Le but est de montrer au lecteur les outrances du réel, de l’immerger dans un imaginaire qui lui même est souvent subversif ou qui récrimine contre le quotidien. Balzac, Victor Hugo et Théophile Gaultier se sont parfois adonnés à ce genre dont Edgar Poe est l’une des têtes de file, comme Mérimée.

On retiendra que le lecteur, dans tous ces cas de figure, est invité à une certaine découverte de personnages inconnus, et à une identification avec lui – processus qui s’appelle mimesis.

Ainsi, l’auteur ne met pas seulement en scène un monde purement imaginaire ou détaché du réel : il offre au lecteur une réflexion sur lui-même et sur le monde. Ceci est l’une des grandes missions du roman moderne qui désormais ne s’en détachera plus.

En savoir plus

Le roman romantique (XIXe siècle)

  • Madame de Staël, Delphine, 1802.
  • Chateaubriand, René ou les effets de la passion, 1802.
  • Alfred de Vigny, Cinq-Mars, 1826.
  • George Sand, Indiana, 1831.
  • Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831.
  • Alexandre Dumas, Le Comte de Monte Cristo, 1844.
  • Prosper Mérimée, Carmen, 1847.

Quelques sources

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