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Le sonnet : une forme impossible ?

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Continuant notre petite visite de la versification classique, il était impossible de ne pas s’attarder quelques instants sur le genre poétique majeur que représente le sonnet. Il a en effet traumatisé des générations d’élèves, et souvent on ignore l’histoire pourtant si riche de ce petit poème de quatorze vers. Tenter d’écrire un sonnet est bel et bien considéré comme une gageure, tellement les contraintes en sont nombreuses. Et pourtant, lorsqu’il est réussi, le résultat récompense les efforts : le sonnet permet en peu de mots d’exprimer des idées ou des sentiments avec une force poétique rarement atteinte dans d’autres formes. Et ce n’est pas un hasard…

Le sonnet, de l’Italie à la France

Le sonnet est né, en France, en 1536 sous la plume de Clément Marot.

À Madame de Ferrare

Me souvenant de tes bontez divines 
Suis en douleur, princesse, à ton absence ; 
Et si languy quant suis en ta presence, 
Voyant ce lys au milieu des espines.

Ô la doulceur des doulceurs femenines, 
Ô cueur sans fiel, ô race d’excellence, 
Ô traictement remply de violance, 
Qui s’endurçist pres des choses benignes.

Si seras tu de la main soustenue 
De l’eternel, comme sa cher tenue ; 
Et tes nuysans auront honte et reproche.

Courage, dame, en l’air je voy la nue 
Qui ça et là s’escarte et diminue, 
Pour faire place au beau temps qui s’approche.

La forme provient de l’italien et notamment, pour Clément Marot, de Pétrarque. Ce n’est pas un hasard si ensuite, les poètes de la Pléiade s’attardent sur cette forme : à la recherche d’une beauté classique, ils se penchent naturellement sur ce qu’ils jugent les meilleures références gréco-latines. De fait, on ne sait pas exactement qui a inventé le sonnet, mais on est certain qu’il est d’origine italienne. Certains chercheurs prétendent que c’est à la cour de Frédéric II, aux XIIe-XIIIe siècles, que la forme apparaît. Mais il est certain que c’est bien Pétrarque qui popularise le genre.

Sonnet 57

Ma fortune à venir est lente et paresseuse,
mon espoir incertain; et mon désir croît, monte,
si bien que me déplaisent et partir et attendre;
ensuite à s’en aller plus que le tigre elle est prompte

Hélas, les neiges seront tièdes et noires,
ma mer sans onde, et les poissons sur l’alpe,
le coucher du soleil au-delà d’où jaillissent
et l’Euphrate et le Tigre d’une source commune,

avant qu’à cet état ne trouve trêve ou paix,
et qu’Amour ou ma dame un autre usage apprennent,
à tort tous deux contre moi conjurés.

Et la douceur pour moi vient après tant d’amer,
que de dépit le goût en disparaît:
Jamais de leurs bienfaits rien d’autre ne retire.

Si le genre italien se transpose en France, c’est à la suite d’une histoire un peu fantaisiste. Maurice Scève, passionné d’Italie, prétend un jour retrouver la tombe de Laure, héroïne du Canzoniere de Pétrarque, non loin d’Avignon. Marot embraye en écrivant un sonnet à Madame de Ferrare, et le genre fait florès.

Le sonnet, une forme très contrainte… mais adaptable

En passant d’une langue à l’autre, le sonnet change un peu de forme. Dans sa forme dite italienne, il est composé de deux quatrains ABBA et de deux tercets de type CDE CDE, CDC DCD ou CDE DCE. Dans sa forme française, il devient ABBA ABBA CCD EED. C’est cette forme qui sera tellement usitée au XVIe siècle par la Pléiade, puis reprise au XIXe par les romantiques, le Parnasse puis les symbolistes.

En fait, le sonnet est un genre paradoxal. Autant il est très contraint, puisqu’il est conçu en alexandrins classiquement césurés de manière symétrique en deux hémistiches de six syllabes chaque. Il alterne masculines et féminines, évite les hiatus, et respecte l’alternance de rimes de la forme française ABBA ABBA CCD EED.

Mais autant il permet aussi de créer un très grand nombre de variantes. La spécialiste Michèle Alquien en distingue trois grandes familles. Les sonnets à disposition plate, où quatrains et tercets s’opposent ; à disposition croisée, où strophes paires et impaires s’opposent ; à disposition embrassée où premier quatrain et deuxième tercet, et où deuxième quatrain et premier tercet s’opposent.

Il est aussi possible de changer l’ordre des tercets et des quatrains afin de créer des formes poétiques inédites, ce dont Verlaine, Baudelaire ou certains parnassiens ne se sont pas privés.

Dans tous les cas de figures, le dernier vers est particulièrement important. On l’appelle la « chute », car il permet au poème de résonner à l’esprit du lecteur.

Pourquoi le sonnet ?

L’objectif du sonnet est, dans une forme très courte et concise, s’approcher le plus possible de l’équilibre entre le son, le rythme et le sens des mots. C’est là où écrire un sonnet réussi est une gageure. Ce dernier porte souvent des idées extrêmement fortes sans que les vers ne faiblissent, de sorte que la tension narrative y est toujours intense. La pensée y est réputée précise, juste, élégante, portée par l’harmonie des sons, des rythmes, des rimes. Le sonnet demande donc beaucoup de travail puisque son objet est d’être, avant tout, achevé.

Voici un sonnet formellement parfait, de Joachim du Bellay.

Déjà la nuit en son parc amassait
Un grand troupeau d’étoiles vagabondes,
Et, pour entrer aux cavernes profondes,
Fuyant le jour, ses noirs chevaux chassait ;

Déjà le ciel aux Indes rougissait,
Et l’aube encor de ses tresses tant blondes
Faisant grêler mille perlettes rondes,
De ses trésors les prés enrichissait :

Quand d’occident, comme une étoile vive,
Je vis sortir dessus ta verte rive,
O fleuve mien ! une nymphe en riant.

Alors, voyant cette nouvelle Aurore,
Le jour honteux d’un double teint colore
Et l’Angevin et l’indique orient.

On constate ici qu’en quatorze vers, est décrite l’aube qui donne naissance à une femme au bord d’un fleuve tandis que la lumière l’emporte sur l’obscurité. Cette aube est mythique et montre la naissance du monde et donne lieu à un syncrétisme entre les principes divins et terrestres, tandis que la figure de la femme est elle-même divinisée : elle rivalise avec la lumière, voire la lumière pourrait émaner d’elle, se confondant avec l’Orient. Ce sonnet est un hymne à la beauté pure, et se hisse au registre de cette beauté. La Loire angevine, pays de du Bellay, est également célébrée car notre poète s’ennuie de l’Anjou lorsqu’il est à Rome.

Ce qui est donc frappant dans le sonnet, c’est sa compacité par rapport à la force de ce qu’il transmet. Chaque vers porte du sens, avec une grande densité, appuyé par le rythme et les sons.

Avec tout cela, à vous de jouer maintenant ! La seule clef de la réussite est dans la patience et la précision. Enjoy ! 🙂

Pour conclure et vous prouver que ce n’est pas infaisable, je vous en offre un des miens…

Mais le monde est trop laid pour ne pas mériter
La transformation par un art qui rend belle
L’injustice effrénée, cette splendeur cruelle
Qu’est la mort : l’humain feint d’exister.

Ô sinistre farce, car oser s’apprêter,
Telle la grand-mère des dieux, fauve Cybèle,
A finir un beau jour dans la paix éternelle,
N’est qu’un rêve d’humain : mourir puis exulter !

Sans doute la seule possible certitude
Est de créer le Beau, brisant la solitude
De homme sans gloire tendu vers l’univers.

Au château des poussières, échafaude le Temple,
Les rêves combattant ces grouillements de vers :
L’humanité sera ce dieu que tu crus ample.

En savoir plus sur le sonnet

  • Aroui, Jean-Louis : « Remarques métriques sur le sonnet français », Studi Francesi, 147, 2005, p. 501-509.
  • Bellenger, Yvonne (dir.) : Le sonnet à la Renaissance, actes des troisièmes journées rémoises, 17-19 janvier 1986, Paris, Aux amateurs de livres, 1988.
  • Darras, Jacques (dir.) : « Les métamorphoses du sonnet », In-hui, 53, 1999, 244p.
  • Degott, Bertrand & Pierre Garrigues (dir.) : Le sonnet au risque du sonnet, Paris, L’Harmattan, 2006.
  • Endô-Satô, Fumiko : « Des sonnets publiés dans les années 1828-1853. Essai de bibliographie critique », Mezura, 28, 1993, 67 pp.
  • Gendre, André : Évolution du sonnet français, coll. « Perspectives littéraires », Paris, PUF, 1996, 264 p. (ISBN 2-13-047849-2)
  • Getzler, Pierre & Jacques Roubaud : « Le sonnet en France des origines à 1630. Matériaux pour une base de données du sonnet français », Mezura, 26, 1998.
  • Jasinski, Max : Histoire du sonnet en France, Genève, Slatkine, 1970 (réimpression de l’éd. de Douai, 1903).
  • Jost, François : Le sonnet de Pétrarque à Baudelaire : modes et modulations, Berne, Peter Lang, 1989.
  • Marietti, Marina & Jean-Charles Vegliante : ‘La Couronne de sonnets de Folgore à Zanzotto’, in D. Ferraris & M. Marietti, Modèles médiévaux dans la littérature italienne contemporaine, Paris, Arzanà (PSN), 2004, p. 181-218.
  • Moncond’huy, Dominique : Le sonnet, Paris, Gallimard, 2005.
  • Roubaud, Jacques : « La forme du sonnet français de Marot à Malherbe. Recherche de seconde rhétorique », Cahiers de Poétique comparée, 17-18-19 | 1990. 386 pp.
  • Ughetto, André : Le sonnet. Une forme européenne de poésie, Paris, Ellipses, 2005.

1 Comment

  1. Avatar Michele dit :

    Beaucoup de spécialistes du sonnet en écrivent (comme vous-même du reste). Et je signale ceux de J.-Ch. Vegliante, à la forme mouvante, dans « Le sonnet a encore bougé » : RIEN COMMUN, Belin 2001.
    Cordialement,
    Michele

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