Le roman, tout le monde connaît. Mais tenter de décrire ce qu’est un roman est une autre paire de manches ! Ceci dit, se pencher rapidement sur l’histoire de ce genre permet vraiment de comprendre ce qu’il est, et pourquoi. Voici donc une petite série d’articles sur l’histoire du roman. Pour y voir plus clair, et aussi parce que, tout simplement, c’est vraiment passionnant ! 🙂

On pourrait remonter très loin pour comprendre la genèse de ce genre littéraire. Dès l’antiquité, on trouverait l’épopée des Thucydide ou de Longus, ou encore d’Apulée. Mais ces racines, pour fortes qu’elles soient, sont assez éloignées de ce que peut être un roman contemporain. On n’y reconnaît pratiquement aucun code d’aujourd’hui. Les histoires dépeintes se situent à cheval entre histoire et mythes, entre réalité, culture et imaginaire. Ceci montre finalement que toute histoire est issue non pas seulement du réel, mais aussi de celui qui la raconte.

Le roman tel qu’il est considéré aujourd’hui reste encore aux prises avec ces notions. Par exemple, un roman qui raconte le réel n’est plus un roman, mais un témoignage. Alors qu’un roman purement imaginaire reste un roman…

Le roman, un instrument de pouvoir et de vérité

Ce flou entre réel et imaginaire est un important ressort de création romanesque encore et toujours. Entre l’antiquité et le moyen-âge, les choses évoluent lentement vers une mission moralisante et édifiante de l’écrit. C’est normal, puisque l’écrit acquiert au fur et à mesure un pouvoir réservé aux lettrés et donc aux classes dirigeantes.

L’écrit, c’est le droit, c’est la connaissance, c’est la gestion et c’est la parole divine. Il ne concerne pas le peuple qui se contente de l’oral. L’écrit rejoint le sacré et/ou le secret. Les chansons de geste, c’est-à-dire des narrations de hauts faits d’arme ou d’attitudes de héros particulièrement chevaleresques, a le vent en poupe pendant l’époque médiévale. Des faits d’arme ludiques des romans de chevalerie, on glisse vers une valeur exemplaire et édifiante. De là à penser que le roman est moralisant, il n’y a qu’un pas aisément franchissable.

Comme l’écrit reste autant que les paroles s’envolent, le roman sert aussi à graver dans une sorte de marbre l’Histoire. L’écrit est une référence, dire l’histoire par écrit c’est dire la vérité. Ainsi, plus loin que la coloration historique de ces récits, il s’agit de décrire des faits moraux de prud’hommes, à savoir de personnages retraçant ces êtres parfaits qui doivent donner de la consistance à tout un système social fondé sur l’exemplarité. L’histoire médiévale n’a pas pour fonction la quête de la vérité. L’écrit relaie des valeurs, et non des faits objectifs. Et comme il possède un aspect sacré ou sacralisé, ce qui est écrit est vrai. Ceci montre que le statut de l’auteur est encore très idéalisé, car jamais ce dernier n’est remis en question. Sa maîtrise de l’écriture suffit à faire foi.

Les romans sont donc à cette époque englués dans une problématique moralisante : il faut que les personnages incitent les lecteurs à agir d’une manière normée, conforme à l’Église ou aux codes de l’honneur. Le roman est source de cohésion sociale, certes, mais reste aussi l’instrument des puissants.

Le roman, meilleur support de l’imaginaire et de la quête d’un idéal

Mais déjà il ressort de ces romans médiévaux des effets de style, des codes littéraires. Il existe en fait trois directions possibles pour les auteurs, intégrées dans des imaginaires extrêmement codifiés. Ces imaginaires sont appelés la matière de Bretagne, la matière de Rome ou la matière de France. On passe là des récits de guerre aux récits antiques, puis aux récits mettant en scène les héros des mythes, par exemple celtiques (cycles des romans arthuriens).

C’est la matière de Bretagne qui développe le plus l’imaginaire, et c’est sans doute celle qui fait à cette époque le plus évoluer le roman.

Il est inutile ici de développer la fin’amor et ses codes, permettant aux chevaliers de conquérir des belles, ni les problématiques de quêtes que cela pose.

Les quêtes restent pourtant, sous des formes souvent un modernes et contemporains. Dans une quête, on part en voyage pour effectuer un trajet afin de trouver quelque chose de souvent confus au départ, mais qui représente une valeur forte ou idéale. Le personnage en quête pense savoir comment se dérouleront les choses, mais des faits imprévus arrivent, qui transforment la lisse théorie attendue en problèmes. Ces épreuves sont le suc de la quête, et tandis que le personnage avance en dépassant les épreuves, il se transforme et finit par accéder à son idéal de départ, cette fois-ci précisé, grâce au trajet et non grâce à l’objet recherché.

Le roman de quête est donc un genre édifiant – ou édificateur. Il a énormément influencé le roman contemporain.

Le roman matérialiste : vraisemblance et verbe lourd

En littérature, toute trouvaille est souvent issue d’une action, puis d’une réaction. Le roman matérialiste naît au XIVe siècle, tendu contre cet imaginaire débridé qui le précède.

C’est sans doute le Roman de la Rose, de Guillaume de Lorris et de Joseph de Meung, qui inaugure cette période du roman matérialiste. En réaction contre les mythes et les récits débridés de hauts faits d’armes, on recherche un certain réalisme. Ceci implique une certaine part sinon de vérité, du moins de vraisemblance.

Le roman matérialiste concurrence donc directement les romans d’imaginaire celte issus de la matière de Bretagne. On quitte la légende pour explorer une certaine part de réel : ceci pousse le lecteur – à l’époque bourgeois ou noble, dans tous les cas éduqué – à s’identifier davantage au héros. Car un héros immergé dans un monde matérialiste est un héros réaliste, jouant dans le quotidien.  Terminés les dragons, les mages et les chevaliers surhumains qui incarnent des valeurs idéales. Ici, les héros pourraient être tout le monde.

Paradoxalement, on revient là au vers au détriment de la prose. Conséquence : par réaction, ce genre va vite disparaître ! Le thème est quotidien mais le verbe artificieux, lourd, bref : maniéré.

Ceci signifie également que le lecteur recherche autre chose que du réel. Le roman n’a pas vocation à être historique – ou à relater la réalité, il porte en lui-même de l’imaginaire. Il porte même, déjà, du plaisir de lire.

Cet aspect ludique est essentiel dans son histoire, même si certains universitaires feignent parfois de l’ignorer…

La naissance du roman moderne par la parodie

Au XVIe siècle, le roman tel qu’entendu de nos jours va s’organiser selon deux courants très  différents. D’un côté, Rabelais et Cervantès vont parodier le roman médiéval en se jouant des valeurs établies. Le roman moderne naît subversif. Il ne conte pas le réel mais utilise l’imaginaire pour offrir au lecteur la possibilité de penser au monde qui l’entoure, de l’analyser et de le contrer. Cette ironie sera une arme très forte au siècle des Lumières, pour Voltaire notamment. Elle mettra donc plusieurs décennies à s’imposer comme une norme du roman. Pour autant, l’ironie reste au centre du genre. Il ne s’agit pas de dire le réel, mais de se confronter avec lui pour en livrer une vision du monde forte, qui le domine ou qui le combat.

D’un autre côté, il existe un courant classique qui perpétue la tradition des romans chevaleresques en se prenant fort au sérieux. Ce courant souffrira très vite de la potentialité du roman à remettre en cause les codes et les conventions.

En savoir plus

Le roman antique, l’épopée

  • Homère, L’Iliade, 850 à 750 av. J.-C.
  • Longus, Daphnis et Chloé, 200 av. J.-C.
  • Virgile, L’Énéide, 29 à 19 av. J.-C.
  • Apulée, Les Métamorphoses, l’an 1.
  • Pétrone, Le Satyricon, avant 100 ap. J.-C.

Le roman médiéval (IX-XIIe siècles)

  • Roman de Thèbes, 1150.
  • Chrétien de Troyes, Perceval ou le conte du Graal, 1181.
  • Turold (?), La Chanson de Roland.

Le roman en prose (XIIIe siècle)

  • Guillaume de Lorris et Jean de Meung, Le Roman de la Rose, 1230 à 1280.
  • Phelippe de Remi, Jehan et Blonde, vers 1250.

Le roman du XVIe siècle – fondations du roman moderne

  • François Rabelais, Le Quart-Livre, 1552.
  • Cervantès, Don Quichotte, 1605.

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