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Amiens – rendez-vous avec Choderlos de Laclos

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Amiens, ville de Choderlos de Laclos (tour Perret)

Dans la série du tour de France littéraire, aujourd’hui, pour mon travail, je me suis retrouvé à Amiens. C’était chaud car je sors à peine d’une sympathique petite grippe. Mais bon, cela ne m’a pas empêché de profiter de la belle capitale picarde et, notamment, du souvenir d’un sacré auteur : le déluré Choderlos de Laclos. Les Liaisons dangereuses, vous connaissez ?…

Choderlos de Laclos est né à Amiens en 1741. Il avait beau être militaire et franc-maçon, on peut dire qu’il a longtemps porté avec lui l’image d’un écrivain particulièrement scandaleux.

Pour la petite histoire, on attribue à Choderlos de Laclos l’invention des premiers boulets explosifs. Ne pas y voir une sulfureuse image psychanalytique : avant d’être écrivain, notre homme était artilleur et sans état d’âme, reconnu pour son esprit vif et s’ennuyant à cent sous de l’heure avec ses camarades de garnison qui ne faisaient pas dans la dentelle.

Choderlos de Laclos : un militaire qui meurt d’ennui et de frustration

Afin de tromper son ennui, il s’essaie dans les années 1770 à l’écriture d’opéras comiques réputés assez mauvais. Il ouvrira en même temps une école d’artillerie à Valence : on ne peut sans doute pas être au four et au moulin !

Devenu capitaine et grand admirateur de La Nouvelle Héloïse de Rousseau, il se mettra en 1778 à rédiger le chef-d’œuvre de la vie, ses fameuses Liaisons dangereuses.

Faut-il croire que la vie d’un militaire d’avant la révolution est tellement creuse qu’elle laisse un temps infini pour écrire ? Peut-être bien ! À tel point qu’en 1779, Laclos demande même six mois pour ne s’adonner qu’à l’écriture, ce qu’il obtient facilement. Il se retire dans la Capitale et jette dans son travail d’écrivain ses frustrations fondamentales : celle de n’avoir jamais montré ses qualités lors de batailles ; celle que lui infligent les nobles de longue date (lui n’est issu que d’une lignée de robe toute récente) ; et celle, surtout, que lui provoquent les femmes qu’il juge fort inaccessibles. Les Liaisons dangereuses, une écriture thérapeutique ?…

Il achève son œuvre après avoir à nouveau obtenu six mois sabbatiques, et elle paraît en 1782.

Laclos, scandaleux (presque) malgré lui

Et là, c’est le scandale ! Les Liaisons dangereuses passent pour un dangereux brûlot à l’encontre de la noblesse, ce qui passe très mal auprès de la hiérarchie militaire. Il sera envoyé à La Rochelle pour la construction de l’arsenal, et y rencontrera l’amour de sa vie, une certaine Marie-Soulange Duperré, avec laquelle il aura un enfant. À 42 ans, il a le double de son âge. Pour autant, il n’a aucun trait commun avec son personnage principal, le sulfureux Valmont.

L’humanisme de Laclos est au contraire avéré : fidèle à sa femme toute sa vie, il militera même pour l’égalité des femmes et des hommes, dénonçant l’éducation asservissante des femmes en prônant leur émancipation. Dans ses projets étonnants et méconnus, Laclos proposera aussi un plan de numérotation des rues de Paris !

Laclos finira général et napoléonien. Par contre, il n’aura pas l’honneur de succomber au combat, mais bien d’une dysenterie amibienne à Tarente, en Italie…

Les Liaisons dangereuses : le roman épistolaire parfait

Les Liaisons dangereuses racontent, sous la forme d’un roman épistolaire, le duel pervers de deux petits nobles manipulateurs et libertins, qui narrent leurs exploits tordus issus d’une niaise rivalité. L’un est le vicomte de Valmont, l’autre est une femme, la marquise de Merteuil !

Comme Valmont est un homme, ses récits ne sont que le triomphe de ses sexuelles et prétentieuses aventures. Mais comme Merteuil est une femme, on pense bien que les choses sont plus complexes pour elle. Pour arriver à ses fins, elle doit multiplier duplicités et tromperies afin de dissimuler ses origines sociales nobles et familiales (elle est veuve). Valmont lui-même use de ces subterfuges pour arriver à ses fins, séduire et perdre ses conquêtes, mais ce faisant, il ne transgresse que la morale bourgeoise de son époque.

Merteuil, par contre, est obligée d’aller beaucoup plus loin. Elle déclare une guerre inlassable envers les hommes — qui sont très dominants dans la société de l’époque — et clame son indépendance, sauvegarde sa réputation et… ses amants !

Les deux rivaux dépassent vite le simple jeu de séduction pour perdre finalement ce qu’ils ont de plus précieux. Valmont va mourir en duel, désespéré après être tombé amoureux d’une femme dont il a causé la perte. Merteuil, elle, perdra sa réputation et sa fortune en perdant un procès ainsi que sa féminité entachée par une envahissante et trop visible petite vérole…

Voici donc un roman épistolaire qui est sans doute l’aboutissement de ce genre. L’absence de narrateur permet aux lecteurs de se forger une opinion directe sur les personnages, libertins d’un côté, victimes de l’autre. Et à la fin du roman, autant Merteuil devient une sorte de figure légendaire, autant Valmont figure le traître lâche et sournois qui doit périr pour gagner son duel avec Merteuil.

Cette morale ambiguë et mettant la femme et sa vertu au centre, est très en avance sur le temps. N’hésitez pas à (re) découvrir Les Liaisons dangereuses avec l’œil contemporain, c’est un roman qui n’a guère pris de ride finalement et qui laisse un vrai goût de soufre et de questionnement…

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(c) Photo Boris Foucaud

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