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Marseille : visite à travers les livres

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Ces deux derniers jours, j’étais à Marseille pour le travail. En voilà une ville surprenante. On prend le train à Paris et il fait 3°C ; quatre heures plus tard on en ressort et il fait 15°C à minuit !… C’est cosmopolite, ça bouge dans tous les sens, ça fleure bon l’accent chantant, la Méditerranée, la fougue et la langueur, l’anarchie maîtrisée ou presque, on sent la fête et une violence rentrée aussi. Bref, c’est toute l’alchimie de Marseille.

La ville est riche en auteurs pas toujours très connus. Mais elle est encore plus riche comme théâtre d’un grand nombre de fictions. C’est bien normal, puisque cette ville est tellement atypique qu’elle ne peut qu’attirer les plumes.

Marseille : un cliché pagnolesque

Bien évidemment, impossible d’échapper à certains archétypes. Entre Pagnol et les écrivains du Félibrige (Frédéric Mistral, Paul Arène, etc.), on peut bien se faire une certaine idée de ce que put être Marseille au début du XXe siècle. Mais ceci est aujourd’hui similaire à la vision qu’on peut avoir de Paris à travers Maurice Chevalier (ou l’infernal film Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain qui est une accumulation dérangeante de clichés). Oui, bien sûr, Marseille reste traditionnellement attachée à l’accent haut en couleurs, tout comme ses personnages truculents à la grande gueules et aux bons mots.

Morts en série

Mais Marseille est aussi une ville inquiétante, qui possède une forte part d’ombre. La pègre, la mafia, les petites frappes, les quartiers pauvres, le visage tourné vers le sud de la Méditerranée, tout cela est apte à créer une atmosphère bien spécifique qui remue toujours l’imagination des auteurs. Et qui d’ailleurs passe dans l’imaginaire contemporain : Plus Belle la vie, série extraordinairement populaire qui a maintenant neuf ans (!), nous montre une lecture du Panier à travers un quartier de fiction qu’est le Mistral et qui met en scène, pudiquement, sans accent marseillais, une communauté de gens ordinaires à qui il ne cesse d’arriver des histoires extraordinaires. Le principe d’intrigue y est simple : un sujet de nature policière dure plusieurs semaines, est intriquée dans une intrigue secondaire tournée vers une histoire sentimentale ou sociale, tandis qu’une péripétie plus légère est contée à chaque épisode. Neuf ans que ça dure, plus de 2400 épisodes, et, derrière ceci, 117 décès de personnages dont au moins 52 meurtres !… Il arrive en un épisode plus de malheurs à un personnage que dans toute une vie réelle. Pourquoi Marseille en toile de fond, et non par exemple Paris ou Lyon ? Parce que dans cette ville, l’intrigue policière est vraisemblable…

Marseille : de Zola au roman noir

Mais dès 1867, Émile Zola adapte les Mystères de Paris d’Eugène Sue, ce roman populaire mettant en scène Rodolphe, ce grand bourgeois aux origines nobles qui a le talent de se faufiler dans tous les milieux sociaux et qui va vivre de grandes aventures au milieu de la pègre parisienne. Zola utilise les archives policières de Marseille pour publier, en feuilleton dans La ProvenceLes Mystères de Marseille. La ville est donc connotée fort tôt !…

Mais c’est sans doute Jean-Claude Izzo, dans son Total Khéops, qui en 1995 va offrir à Marseille le point d’orgue de sa fonction d’héroïne policière de roman noir. «L’auteur de polar n’a nul besoin d’avoir une imagination débordante : à Marseille, il n’a qu’à se baisser… La réalité dépasse souvent la fiction. », prétend même l’écrivain marseillais Maurice Gouiran (Des Écrivains dans la ville, revue Marseille, juin 2006). Et comme Marseille est historiquement une ville d’éditeurs (Robert Laffont, Ferdinand Lop, etc.), à une époque, tout bon éditeur voulait son auteur de romans policiers marseillais !… Dès lors, même un Franz-Olivier Giesbert s’y est mis (L’Immortelle, vingt-deux balles pour un seul homme, Flammarion noir, 2007), c’est dire l’ampleur de la contagion !

À Manosque, à l’été dernier, il y a même eu un festival sur le sujet à l’occasion du Blues et polar (voir article du Dauphiné). René Fregni, Olivier Boura, Minna Sif, Maurice Gouiran, les journalistes José d’Arrigo, Denis Trossero, Franz-Olivier Giesbert sont intervenus pour raconter ‘leur Marseille’, entre fantasmes et French Connection, entre Bonne-Mère et guerre des gangs.  Impossible aussi de passer sous silence Cédric Fabre et son Marseille’s burning qui a cette année défrayé la chronique provençale.

Marseille, personnage de romans

Alors, Marseille, entre le roman noir et la pagnolade, point de salut ? Pourtant, certains auteurs ont tenté de s’appuyer sur « l’esprit marseillais » pour y placer leur fiction. « Nous avons de quoi !, clame Henri-Frédéric Blanc (Discours sur l’universalité de l’esprit marseillais, L’Ecailler du Sud, 2005). Une vis comica inimitable, une longue tradition satirique, une fantastique puissance de dérision et d’auto-ironie, un irrespect merveilleusement fécond, le don de l’amplification poétique, une haine de tout carcan, une curiosité insatiable et, ne craignons pas de le dire, un certain mauvais goût qui est bien souvent le sésame de l’inspiration… Il faut nous pousser à être marseillais, non pour Marseille mais pour la culture française. » 

Et certains romans s’inscrivent dans cette ligne. Emmanuel Loi, avec Marseille amor nous plonge dans une ville fantasmatique qui ne sort pas toujours de ses clichés, mais qui tente une échappée vers une autre vision des choses. Tout comme Patrick Cauvin, dans sa Rue des Bons-Enfants, qui retrace certes une ville un peu pagnolesque, mais néanmoins réinterprétée à l’aune de véritables souvenirs d’enfance :

Le matin commençait en fanfare, la rue noire de nuit prenait son coup de lumière sur les toits déjà couleur de peau d’orange. Par la fenêtre, malgré les volets de bois, Pascal regardait le ciel bleuir comme l’œil de Pestadou le jour où il avait pris le coup de poing. Les bruits qui montaient étaient comme les étirements du réveil de la géante… Marseille, la vieille jeune femme, cherchait la bonne position pour vivre un grand jour sur son lit de collines… Vieille parce que les Grecs étaient venus la voir… et les Grecs, c’était l’ancien temps. C’est le maître qui l’avait expliqué. Ils avaient débarqué un jour avec la robe, même pour les hommes, les sandales aux pieds, et les accroche-cœurs sur le front, comme les cagoles de la rue Bouterie. Après, les Romains s’étaient installés avec le soleil sur les cuirasses et leur manie de paver les rues. Et, de fil en aiguille, la ville avait grandi. Peut-être qu’elle grandissait toujours, qu’elle pousserait ses maisons jusqu’aux grandes plaines de cailloux de Provence.
C ‘était Mémé qui le sortait du lit et surveillait le débarbouillage à la pile de l’évier. Il se frottait les oreilles en lui récitant les leçons. Elle suivait avec le livre parce qu’elle n’était pas bien sûre, et que, pour la table de multiplication, les départements et les os du squelette, elle avait des faiblesses. Les volets grinçaient sur la rouille des gonds et le jour entrait dans la cuisine… (Patrick Cauvin, Rue des Bons-Enfants, Albin Michel, 1990)

Une chose reste certaine. Noire, rose ou bleue, Marseille est un véritable personnage de roman : s’y immerger sous cet angle est donc toujours un véritable plaisir trouble !…

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