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Une petite histoire du roman – épisode 5 : La modernité

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Nous avons vu qu’à la fin du XIXe siècle, le roman a acquis ses lettres de noblesse auprès du public et qu’il possède techniquement tous ses codes. Simplement, l’aventure ne s’arrête pas là. L’étape suivante est l’apparition, dans la pensée du siècle, de la modernité, qui va rejaillir directement sur le roman en tant que témoin d’une nouvelle vision du monde ayant digéré l’ère industrielle.

La modernité, c’est quoi ?

Ce terme de « modernité », dans son sens contemporain, est inventé par Charles Baudelaire : « La modernité, c’est le fugitif, le transitoire, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. » (Le Peintre de la vie moderne). Il ne date donc que de la moitié du XIXe siècle et reste récent, alors que les temps modernes naissent, pour l’historien, dès la Renaissance au XVIe siècle. Modernité et temps modernes ne sont donc pas la même chose.

La modernité influence directement les formes artistiques. On est alors en pleine révolution industrielle. En art, on se pose donc la question suivante : est-ce la forme qui régit les fonctions, ou sont-ce les fonctions qui doivent régir les formes ? En industrie, on voit l’avènement du standard, des nouveaux matériaux précontraints qui sont fabriqués en grand nombre. C’est la taylorisation et le travail à la chaîne qui remplace l’artisanat, la Ford T qui en 1913 révolutionne les objets du quotidien et l’industrie, ainsi que le monde du travail. On produit en masse, et donc à moindre coût, transformant les humains en consommateurs et leur promettant un accès au confort.

Autant dire qu’en architecture, cela transforme radicalement les formes de la ville (voir la Charte d’Athènes du Corbusier). Socialement, la modernité conforme également le monde en différentes fonctions que sont le travail, les transports, les loisirs, le commerce… L’époque est au rationalisme, au positivisme (Auguste Comte), à la science, à l’industrialisation.

Et l’imaginaire, dans tout ça, change de teneur pour tenter de comprendre les nouveaux fantasmes qui naissent avec cette société industrielle inédite, tendue entre peur et exaltation.

Le roman moderne : réunir l’épars

Dans le roman moderne, l’intrigue finit par passer au second plan. Ce qui compte, c’est l’analyse. Ce mouvement avait certes été ébauché par les romans réaliste et naturaliste. Mais désormais, la psychologie des personnages devient le principal argument. Ses interactions avec le milieu deviennent une forte source de questionnements. Pendant que le monde se conforme à une certaine idée de la standardisation et du confort, les auteurs mettent leur style au centre du débat. Il ne s’agit plus d’avoir une écriture irréprochable et classique, comme c’était le cas pour un Balzac ou un Anatole France, mais d’approcher au plus près la finesse de l’analyse psychologique des personnages en inventant la syntaxe et le vocabulaire idoines. Le monologue intérieur fait son apparition et devient pour cela une arme répandue.

Un même roman va connaître dès lors des ruptures de style, de modes narratifs, de points de vue. Il va étoffer sa palette de techniques scripturales au sein d’une même œuvre afin d’appréhender plus finement le sujet. Le métier de l’écrivain va donc devenir éminent comme un principal argument de reconnaissance. Le lecteur ne lit plus seulement une oeuvre, il lit un auteur.

Et puis comme le monde se complexifie très brutalement par la science et la technique, le roman éprouve plus que jamais le besoin de lui donner un sens. Il s’agit désormais de tenter de l’appréhender dans sa totalité. L’auteur recherche cette unification d’éléments aussi discontinus que ce que le monde lui donne à voir, et ceci est nouveau. Ce trait est représentatif du mouvement moderne dans tous les arts, de la peinture à l’architecture, de la sculpture à la littérature.

Dans le roman, cela offre des œuvres complexes, aussi complexes que le monde lui-même, et donc la naissance à plusieurs visions du monde cohabitant dans une même œuvre et se confrontant au fil de la narration. On appelle cela, en littérature, la polyphonie (terme inventé par Bakhtine).

Cela donne lieu naturellement à l’avènement du roman psychologique. De Henri James à Colette en passant par Romain Rolland et Paul Bourget, on creuse cette voie sans répit pour donner lieu à des romans parfois très longs et ambitieux. Roger Martin du Gard ou Thomas Mann en feront des romans-fleuves.

Seul problème : si on crée plusieurs visions du monde dans un seul roman, on enlève aussi au lecteur la possibilité de s’identifier à un héros par mimésis. Les romans deviennent un genre intellectuel, moins populaire, ce qui est également nouveau dans les temps modernes. L’esthétique, la théorie, les thèses, passent avant le plaisir de lire.

Face à ces outrances, certains auteurs tentent de revenir à une forme de roman plus populaire entraînant une méthode d’écriture qui reste l’une des grandes trouvailles du roman moderne : le dialogisme. Ici encore, c’est M. Bakhtine qui théorise ce concept littéraire.

Il s’agit pour un auteur de créer un narrateur étant sur le même pied d’égalité que les personnages – et non plus omniscient – ce qui permet au lecteur de rester en pleine immersion dans le monde dépeint malgré sa pluralité. La parole de l’auteur s’éloigne au profit de ses personnages. Ceci rejoint la vision de l’homme de ce temps, à savoir un homme pluriel, changeant et dépendant d’autrui.

Ainsi, le roman moderne n’est plus un monolithe ne relatant qu’un monde global sous le seul œil d’un personnage ou d’un narrateur. Il relate un monde complexe, éclaté, sous le regard de plusieurs instances qui se veulent différentes, entre narrateur et personnages, lieux et temps mouvants. Comme tel, il s’est adapté une vision moderne du monde ! Si cette manière de faire existait déjà depuis longtemps (chez Diderot par exemple, au Siècle des Lumières), le XXe siècle en fait une véritable piste de recherche romanesque, notamment sous la plume de Dostoïevski.

Quand même le monde est remis en cause et que c’est le personnage qui gagne

Et puisque le roman creuse l’analyse de l’homme dans toute sa psychologie et ses zones d’ombre soumises à un monde complexe et pluriel, il est logique que les constituants fondamentaux de l’homme, comme le temps, soient remis en question par le roman. Ainsi Proust va-t-il créer un roman au temps cyclique, et Joyce un roman au temps dilaté. L’Histoire-même est remise en cause, remplacée par une vision du monde extrêmement subjective portée par des héros romanesques.

Dès lors, à partir de ce moment, il devient évident que le monde dépeint échappe à toute objectivité, et que c’est la vision des héros-mêmes qui conforme le monde : le monde n’est plus, l’univers n’est qu’un regard profond.

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