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Le roman en question : aujourd’hui, qu’est-il devenu ?

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Le roman aujourd’hui, c’est une épineuse question. On est là dans un gouffre de questionnement. Nous avons quitté l’histoire du roman au nouveau roman, et après ? Rappelez-vous… Déjà dans les années 80-90, quand on achetait le Lagarde et Michard pour prendre une belle anthologie des œuvres littéraires, les volumes étaient minces et s’étoffaient jusqu’au XVIIIe siècle. L’anthologie du XIXe épaississait encore parce que le siècle était foisonnant. Mais le volume consacré au XXe mesurait presque le double et pesait pas loin d’un kilo ! Était-ce parce que ce siècle était encore plus riche que le précédent ?… Non, certainement pas. Il est seulement très difficile de créer l’anthologie d’un siècle en cours pour deux raison principales, les mêmes qui font qu’il est très difficile de comprendre exactement le temps dans lequel on est immergé là, au présent. Et ceci ne rend pas simple l’étude de la pensée littéraire en cours… 
La première raison, c’est que bien malin et prophétique celui qui saura quels courants seront considérés comme mineurs ou majeurs dix, trente ou cinquante ans plus tard. Bien des pages du Lagarde et Michard XXe sont consacrées à Mauriac. Bien peu à Vian. Résultat, cinquante ans après, concernant l’histoire de la littérature, lequel des deux a le plus amené à la littérature ?… Le débat fait encore rage à l’heure qu’il est. Deuxièmement, le XXe siècle a connu une révolution majeure, celle des médias. Ainsi, nous ne  sommes plus à l’époque où les théoriciens étaient connus des années après la diffusion restreinte mais digérée de leur pensée. Au contraire, au XXe siècle, les théories n’ont jamais été aussi nombreuses, contradictoires, pour certaines à peine abouties tout en étant immédiatement diffusées. Le mode de diffusion du net a transformé les processus autant auprès des théoriciens – immédiatement et tous diffusés, parfois avec une incitation institutionnelle si forte qu’elle est obligatoire, via des portails comme HAL ou Web of science – que des lecteurs. Ces derniers peuvent, sur internet, trouver tout de suite des fondements à ce qu’ils cherchent sans qu’on leur laisse le moindre recul de digestion. Or, il faut bien le constater, ce sont aussi les théoriciens qui ont fait avancer le roman à l’ère moderne. Surtout lorsque ceux-ci étaient auteurs eux-mêmes. En y réfléchissant, ils ont posé des questions autant aux lecteurs qu’aux éditeurs et ces questions ont fait avancer la donne, car les auteurs s’en sont emparé. Un Sartre, un Camus ou un Gracq étaient de grands spécialistes en théorie littéraire ! Mais après les années 70, quels sont les théoriciens du monde et des romans qui ont pu faire avancer les choses d’une manière sûre, évidente et universellement reconnue ?

Le roman, un bien de consommation comme les autres

Il y a bien quelques courants qui ont émergé, comme le post-modernisme, très bien théorisé par Umberto Eco, notamment dans La Guerre du faux ou De la littérature. Mais force est de constater que le livre étant devenu un bien de consommation comme les autres, les théories le concernant, tout comme les fédérations d’auteurs en courants défendant des idées communes, sont devenues très difficiles à décrypter depuis 1980. Car le roman part un peu aujourd’hui dans tous les sens. Concurrencé certainement par les autres genres – la radio, le cinéma, la BD, internet, les séries TV même ! – il n’est plus aussi majeur qu’il le fut, mais il reste prégnant. Sachez qu’en France, il est sorti en 2008 environ 8 titres de livres… par heure, dont 50% de  nouveaux titres.

Pour illustrer ce fait, en 2008, il est sorti plus de 76 500 titres dans l’année. Pour jouer, sachez qu’entre le premier et  le 8 janvier 2014 dernier, il est sorti 1626 nouveaux ouvrages ! Tous ne sont pas des romans, loin s’en faut. Actuellement, les livres qui se vendent le plus sont des livres pratiques, des bandes dessinées, des livres de jeunesse, des ouvrages historiques, mais pas des romans. Mais les livres n’ont jamais été aussi lus, ce qui les transforme du même coup en produits de grande consommation. Il est dès lors difficile d’avoir une réelle lisibilité de courants ou de genres actuellement parce qu’ils disparaissent comme ils sont venus et que rien, sur la durée, ne permet nettement une analyse fine et globale de la situation. (Voir les études Pour que vive la politique du livre, Sophie Barluet, 2007 – paru en 2010 – et Économie du livre, le secteur du livre : chiffres-clefs 2009-2010, INSEE, mars 2011.) Car pour comprendre ce qu’est un courant, il faut étudier ce qui le constitue. Il manque d’un outil d’analyse pouvant relier toute cette production si rapide et régulière afin d’en extraire des tendances solides. Non pas des tendances marketing, mais des tendances de fond. Seul le recul permettra une analyse solide de la situation éditoriale. Ceci peut demander 15 ans de recul… N’est-ce pas d’ailleurs la différence existant entre l’histoire et la quotidienneté ?… Les livres sont donc bien sûr devenus une industrie. Autant ceci peut paraître rébarbatif, voire apeurant pour celui qui se lance dans l’écriture du roman, autant ceci possède un aspect rassurant : jamais dans l’histoire du livre il n’y a eu une telle diffusion. Jamais il n’a été aussi facile d’être édité et jamais il n’a été possible de s’adresser à autant de lecteurs. Dans le fond, c’est une bonne nouvelle ! Cette situation inédite ne fait qu’induire finalement de nouvelles pratiques de lecture, d’achat du livre et déplace le statut de l’écrivain. L’ennui dans tout cela est que l’analyse de ces nouvelles pratiques demande du recul… Mais après tout, les écrivains ont toujours été dans cette situation, et ce qui paraît illisible là maintenant l’était tout autant en 1750 ou en 1889. Bref, ceci n’est pas une excuse pour ne pas écrire et pour ne pas franchir le pas de l’édition. Car le roman reste extrêmement demandé par le lectorat. Ce qu’il serait absurde de croire, c’est que parce que les titres n’ont jamais été aussi nombreux, ils sont tous d’une médiocre qualité.

Le grand roman existe encore mais le lecteur est au centre du processus éditorial désormais

La qualité d’un roman est toujours là. On pourrait penser que ceci est purement subjectif, alors que non : un roman, c’est un genre, c’est donc une codification. Dans cette optique, un ‘bon’ roman est un roman qui saura exploiter ces codes de sorte que le lecteur puisse en apprécier les dimensions, conformément à son ‘horizon d’attente’ (Jauss, Théorie de la réception). Cette théorie de l’horizon d’attente est passionnante et montre qu’un lecteur attend d’un roman trois choses issues de l’écart existant entre sa culture de ce qu’est une œuvre et l’œuvre elle-même.

  • Le premier paramètre mesurable est l’expérience préalable du lecteur face au genre qui lui est proposé. Par exemple, s’il lit L’Homme aux cercles bleus de Fred Vargas, le lecteur se place dans la configuration ‘roman policier’ et l’écart entre les codes qu’il en attend et l’œuvre va déterminer son jugement ;
  • La forme et la thématique d’œuvres antérieures dont cette œuvre présuppose la connaissance est le second paramètre. Par exemple, un lecteur lisant Thaïs d’Anatole France a sans doute déjà lu des œuvres flaubertiennes se rapprochant de ce thème (comme Salammbô ou Hérodiade) et connaît sans doute aussi une partie des caractéristiques de la femme fatale dans la littérature de la fin du XIXe siècle. C’est l’écart entre cette connaissance et ce que lui propose l’œuvre qui va également déterminer son jugement.
  • Enfin, l’opposition entre langage poétique et langue pratique, entre réel et imaginaire, est un troisième paramètre. Le lecteur va confronter l’œuvre à sa quotidienneté et à son  expérience. Lorsque l’œuvre change en partie sa vision du monde, elle établit un rapport avec la société qu’elle remet en question.

Il se trouve que le sens du texte est certes inscrit dans ce texte, mais il est cependant actualisé par chaque lecteur à chaque lecture ! Si l’auteur produit une expérience esthétique par son métier et son savoir-faire – ce qu’on appelle la poïesis, à savoir la ‘création’ – il produit aussi par son œuvre une expérience et une réalité nouvelles pour le lecteur. Une fiction qui certes ne s’oppose pas vraiment au quotidien, mais qui nous renseigne sur lui. Il se trouve donc que le lecteur reçoit cette nouvelle réalité ainsi que cette expérience esthétique et lui donne sens. Ceci se nomme l’aisthesis (qui signifie ‘perception par l’intellect’ ou ‘prise de connaissance’). Puis le lecteur se libère de son quotidien et de ses contingences parfois difficiles pour se placer dans un état de jugement esthétique fondé sur le plaisir : il s’identifie aux personnages et aux situations véhiculées par l’œuvre : c’est la catharsis (qui signifie’purification’, ‘épuration des passions’). Ces catégories de ressenti par le lecteur étaient déjà étudiées par Aristote à propos de la tragédie grecque… Ce lien entre le texte et le lecteur est une collaboration forte qui fonde l’expérience esthétique. Le roman réussi est donc celui que vous trouvez réussi. Or, le propre d’un roman réussi est sans doute de répondre justement à ces horizons d’attente du lecteur en libérant et du plaisir esthétique, et de l’empathie avec les situations et les personnages, et une vision du monde assez aboutie pour qu’elle concurrence le réel tout en mettant en lumière certains de ses traits constitutifs. Il est donc inutile de préciser que les œuvres contemporaines réussies existent bien, et que finalement, au centre de tout ce processus n’est pas l’industrie du livre, mais bien le lecteur lui-même. Dès lors, un auteur écrit-il pour soi ou pour les autres ?… Il semble que la réponse est évidente. Tout l’intérêt aujourd’hui du roman contemporain, par sa très large diffusion, est sans doute justement de mettre l’autre au centre du débat. Dès lors, à vous de lire et de lire encore pour trouver non pas l’œuvre du siècle, mais bien celle qui sera VOTRE œuvre du siècle !

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