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Sylvie Ducas : comment devenir un bon écrivain ? – interview (2/2)

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Sylvie Ducas dirige un master Métiers du livre à université Paris-Ouest Nanterre. Elle forme des éditeurs, des libraires et des bibliothècaires et les initie aux problématiques de la chaîne des livres. Directrice adjointe de son UFR et maître de conférences, elle est également spécialiste des prix littéraires. PluMe a eu le plaisir de l’interviewer sur les actuelles grandes tendances du monde de l’édition. Elle nous parle ici de ce qui, selon elle, caractérise un bon écrivain, et des manières d’y arriver. Selon Sylvie Ducas, l’éditeur, les ateliers d’écriture, le coaching éditorial sont des bons chemins, mais c’est bien la vision du monde de l’écrivain qui est avant tout au centre du débat.

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PluMe : Que pensez-vous de l’autoédition ?

Sylvie Ducas : Je n’en pense pas du bien. En sciences humaines, prenez l’exemple de l’Harmattan : c’est du compte d’auteur déguisé, je trouve cela honteux. C’est l’auteur qui fait lui-même tout le travail éditorial et qui est, en plus, obligé d’acheter un certain nombre d’exemplaires qui amortissent le peu d’investissement de celui qui se dit éditeur, à savoir le prix du papier et de la mise sous presse. Donc l’autoédition, je n’ai jamais été convaincue. A quoi cela rime-t-il de ne pas vraiment avoir le regard d’autrui sur son œuvre ? Il est très important qu’il y ait de l’intermédiation. On croit souvent que par le numérique, il n’y a plus d’intermédiation : c’est faux. Elle se reconstitue sous d’autres formes. On a toujours besoin d’intermédiaires, de lecteurs… L’auto-publication, cela signifie que je veux absolument publier par delà des avis et des refus que j’ai eus ailleurs. Moi si j’étais auteur, je tenterais plutôt de m’alimenter du refus, car je me serais trompé de maison. Si je n’ai en retour qu’une lettre-type, ceci signifie qu’on ne m’a même pas lu. Dans les grosses maisons, ce sont les stagiaires ou les secrétaires qui font le tri. Interroger le refus, persister, persévérer sont essentiels : chaque éditeur est unique, il faut bien choisir. Aller aussi vers des éditeurs dont on aime bien le catalogue et les auteurs, aussi. Et ne pas hésiter à retravailler un manuscrit, même plusieurs années durant. Je pense que les écrivains ne le disent pas, mais à 80% ils ont réécrit. Ils n’ont pas publié ce qu’ils ont donné quand on les a convoqué la première fois. Voici donc ce que je dirais à un jeune auteur qui pense directement à l’autoédition (rires).

Sylvie Ducas et Marie-Odile André, Ecrire la bibliothèque aujourd'hui

Sylvie Ducas : l’écrivain a besoin d’une vision, de celle d’autrui et de travail

PluMe : Que pensez-vous des auteurs qui prétendent qu’ils écrivent un roman sous le joug d’une inspiration absolue, sans travail, facilement ? Quel est selon vous le travail nécessaire à l’acte d’écriture ?

Sylvie Ducas : Je n’ai jamais cru à l’idée de l’inspiration divine ! Des milliers de raisons peuvent justifier le geste d’écriture. Je ne crois pas aux muses ni au dieux qui viennent nous habiter pour la dictée. Il y a une nécessité d’écrire, je veux bien y croire, c’est un lieu commun mais cela existe. Mais je reste persuadée qu’ensuite, il faut du travail. C’est comme dans n’importe quel art. Ensuite, c’est Proust qui disait que le style n’était pas une question de technique, mais de vision. Oui, il faut être porté par une vision des choses. Avoir une vision des choses à faire passer. Ceci peut être plus ou moins bien écrit. Ce qui est fascinant, c’est qu’il y a des gens qui sont écrivains mais qui écrivent mal. Mais ils sont écrivains, car ils ont une vision. Inversement, il y a des gens qui écrivent très bien mais où leur écriture ne génère rien. Pour moi, ce ne sont pas des écrivains. Ce n’est pas le bien écrire qui fait l’écriture ni la littérature. Ceci n’est que mon point de vue (rire). Il faut une vision car c’est elle qui crée l’émotion esthétique. S’il n’y a pas d’émotion à la lecture, je ne lis pas ou je ne lis plus.

Sylvie Ducas, Jean Rouaud, les fables de l'auteur

PluMe : Alors pourquoi certains personnes n’ont-elles pas confiance en elles alors qu’elles ont une vision du monde ?

Sylvie Ducas : Je suis d’accord, la confiance est importante. Mais je suis très sceptique par exemple sur les masters de création littéraire. Je trouve que c’est un peu une fumisterie que de faire croire qu’on peut apprendre à la fac à devenir écrivain. On peut apprendre à écrire, à améliorer sa plume, certes, mais il ne faut pas croire que cela suffise pour être écrivain. De plus, il n’y a pas de marché pour ce genre de travail !

PluMe : Depuis quand ces types de masters pour devenir écrivain existent-ils ?

Sylvie Ducas : C’est récent, c’est une importation américaine. Aux USA, cela fait très longtemps que l’on a intégré ces cursus d’écriture avec ateliers, rencontres avec des écrivains… Cela s’appelle vraiment ‘master de création littéraire’. Il y en a un aujourd’hui à Paris 8, un à Toulouse, un autre au Havre… C’est en train de fleurir un peu partout. Si c’est bien présenté comme étant un espace de travail de la plume, oui, pourquoi pas ? Mais pas une fabrique d’écrivains.

PluMe : Et que pensez-vous des ateliers d’écriture ?

Sylvie Ducas : les ateliers d’écriture pour désapprendre à écrire

Sylvie Ducas : Tout dépend de leur finalité, mais ils peuvent être très intéressants. Cette année, nous créons dans notre master une résidence d’écrivain pour un auteur, qui fera un atelier d’écriture qui n’existe pas encore ailleurs : il va apprendre à nos jeunes à faire des chroniques sur l’actualité littéraire. Leur rappeler que la critique littéraire, c’est un genre, une écriture à part entière, qu’elle a ses codes et sa rhétorique. Il s’agit aussi d’apprendre à avoir l’œil en repérant ce qui est bon ou non. L’enjeu est de dépasser le simple stade du ‘j’aime ou j’aime pas’. Ceci leur apprend à mieux juger de l’écriture de l’autre. Je suis donc très favorable aux ateliers d’écriture. Il y a quelques années, nous en avions fait un aussi pour nos étudiants car ils sont dans les métiers de l’écrit, et il est important qu’ils puissent disposer d’un espace justement non professionnel ni contraint, ni académique. L’écriture y est libre ou libérée, ce qui désinhibe les personnes, on leur « désapprend » à écrire, ce qui est important. Pour mieux écrire d’une manière professionnelle, on commence par de l’atelier d’écriture qui leur permet de s’interroger sur leur propre rapport à l’écriture. Désinhiber, c’est important : on a appris à mal écrire à l’école, on apprend des codes qui ne sont pas ceux qui révèlent réellement la personnalité de chacun. C’est un espace d’épanouissement, d’introspection, d’échange. C’est une bonne expérimentation. Je prône aussi les ateliers de lecture ! Apprendre à lire, à échanger sur la lecture, c’est fondamental. Les bibliothèques ou médiathèques s’y mettent d’ailleurs un peu, ce qui est bon car il est important de s’interroger sur son acte de lecture. Ecriture et lecture sont très liées. Il n’y a pas d’écrivain qui n’ait été d’abord lecteur, et il n’y a pas de lecteur qui ne puisse être un écrivain potentiel si vraiment il y met du sens. Les deux vont ensemble, écriture et lecture, de plus en plus.

Sylvie Ducas et Michel Bruillon, Les Professions du livre

PluMe : Que pensez-vous du coaching éditorial ? Des conseillers de l’ombre de certains écrivains qui sans l’avouer ont parfois besoin d’aide pour achever un plan, par exemple.

Sylvie Ducas : Les « nègres » ? Il y en a à différents degrés, j’en ai rencontré plusieurs. Certains écrivent carrément à la place de l’auteur ! D’autres n’aident que pour la mise en forme. D’autres à trouver un plan. Mais le coaching, cela ne se passe-t-il pas en atelier d’écriture ?

PluMe : Disons qu’un coach éditorial anime des ateliers sans groupe ! (rire)

Sylvie Ducas : Pourquoi pas ? On doit avancer plus vite en individuel ! Tout dépend comment c’est conçu, de qui le fait. C’est comme pour les ateliers d’écriture, il y a à boire et à manger (rire). Des trucs très bons, des trucs très mauvais. Ceux de François Bon, par exemple, sont très biens. Il part des textes un peu classiques pour faire réfléchir sur l’acte d’écrire. Ce n’est pas l’atelier de thérapie de base ou de poésie de type jeux floraux bas de gamme qu’on trouve aussi beaucoup (rire).

PluMeQue pensez-vous des grosses entreprises d’ateliers d’écriture ?

Sylvie Ducas : Je ne pense pas qu’un atelier puisse être une usine à gaz. Ils doivent être de taille modeste, dans la fidélisation, la proximité. Autour de quelque chose qui soit dans le long terme. J’ignore si c’est très rentable financièrement, mais ça devrait être conçu comme ceci ! (rire) Le coaching littéraire aussi, finalement, pose question parce que c’est un peu le travail de l’éditeur. Il lit, il encourage son auteur à réajuster son propos… C’est un intermédiaire intéressant, cela peut avoir du sens. D’ailleurs, je pense que les écrivains de talent ont tous eu des ‘coachs’, même si on ne les appelle pas traditionnellement ainsi. Je parle davantage de ‘parrainage’. Le parrain fait réécrire, faire travailler. Cocteau est un coach pour Radiguet ! Il y en a beaucoup qui le reconnaissent assez volontiers. Dans les fameux cénacles du XIXe c’était monnaie courante, car les auteurs se lisaient à voix haute et il y avait des commentaires des autres participants : c’était du coaching avant l’heure ! C’est catégoriquement proche du métier d’éditeur, ou du moins du travail que devrait faire tout éditeur.

Sylvie Ducas : le bon écrivain sait pourquoi et comment il traduit sa vision du monde

PluMe : Qu’est-ce qui, selon vous, définit un bon écrivain ?

Sylvie Ducas : Comme je vous le disais, sa vision. J’aime la distinction que fait Barthes entre les écrivants et les écrivains. L’écrivant communique via le livre et ne l’utilise que comme un outil de communication. Des gens par exemple qui écrivent leur vie, leurs mémoires, comme des sportifs ou des gens du showbusiness. L’écrivain se pose la question du comment écrire. Il ne se demande pas s’il va raconter sa vie, ceci ou cela. Il se pose la question de la boîte à outils et qui se dit qu’après des monuments comme Faulkner, Joyce ou Proust, il a encore envie d’écrire sur tel ou tel thème et ce n’est plus le contenu qui va compter pour lui, mais la manière de l’écrire. On peut continuer à écrire sur l’amour ou sur ce que l’on veut jusqu’à la fin des temps ! La littérature aura toujours de beaux jours devant elle ! L’écrivain est celui qui se pose la question du comment écrire, mais aussi des autres écrivains : comment se place-t-il par rapport à eux ? Il a conscience de ce que les autres font, ne serait-ce que pour mesurer sa singularité. Un bon écrivain n’attend pas de gagner sa vie avec cette activité, comme un artiste : il fait son œuvre, il creuse son sillon, et rien d’autre. Dans le respect de son lecteur. Car je ne crois pas une seconde qu’un écrivain écrive sans espérer être lu. Ce lecteur pouvant prendre des formes très diverses, plus ou moins imaginaires. Le bon écrivain est celui qui est honnête. Qui sait à quelle altitude il est et qui continue honnêtement son travail. Sans se prendre pour ce qu’il n’est pas. S’il écrit en plus très bien, s’il a trouvé le bon outil dans sa boîte à outils, un truc qu’on n’avait jamais vu avant lui, il peut même être un très bon écrivain. Ecrire très bien ne signifie pas écrire dans la langue de Malherbe. C’est avoir trouvé une façon d’écrire. Il peut y mettre de l’argot, des gros mots… Mais surtout, le très bon écrivain a réussi à traduire sa vision. En se demandant comment il fait, comme un peintre devant sa toile. Il a une démarche d’artiste. Et cette démarche, je pense que tout le monde ne l’a pas. Tout le monde ne peut pas être un bon écrivain…deco1

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(Avec l’aimable autorisation de Sylvie Ducas)

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  1. […] A venir dans le blog de PluMe : la suite de l’interview sur l’écriture au XXIe siècle : comment devenir un bon écrivain ? […]

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