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Hubert-Félix Thiéfaine, le poète au blues noir

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Disons-le sans détour : Hubert-Félix Thiéfaine n’est pas seulement un chanteur-poète, c’est un monument. Un de ceux encore vivants qui peut trôner dans le panthéon de la chanson française aux côtés de Léo Ferré, par exemple, mais aussi de Juliette, Brassens, Brel ou Bashung. C’est juste que Thiéfaine, c’est un monument qu’il faut savoir aborder car comme tout monstre sacré, il a inventé son esthétique, son vocabulaire, sa vision du monde, son univers. On aime ou non, mais impossible de rester indifférent face à ce grand bonhomme.

Thiéfaine : de l’ascension d’un Franc-Comtois au zénith

Une enfance en Franche-Comté, des écoles publiques et privées à Besançon, des études de droit peu suivies à Paris et des centaines de petits boulots, c’est le socle. Mais aussi, on trouve dans la vie de Thiéfaine ces salles qui sentent la sueur, ces longues tournées dans les MJC, ces apparitions dans tous les cabarets de toute la France.

1978 : premier album, Tout corps vivant plongé sur le secteur étant appelé à s’émouvoir. C’est la rencontre avec deux figures emblématiques, Tony Carbonare et le guitariste Claude Mairet. Du folk ironique et récriminateur, Thiéfaine va se tourner vers le rock dans les années 80. Du rock noir, avec des univers urbains mêlant violence, désespoir, mythologie et recherche d’un ailleurs. Soleil cherche futurDernières balises avant mutationAlambic/ Sortie Sud, c’est la trilogie sombre du poète.

Nyctalopus Airline, Alambic/Sortie Sud

Au nom du père au nom du vice
Au nom des rades et des mégots
Je lève mon hanap et je glisse
Dans mon scaphandre à nébulos
Je flye vers la doulce Atlantide
Allumée dans mes courants d’air
Je flye vers les chiens translucides
Et les licornes aux cheveux verts
Et je patrouille dans mon cargo
Chez les OVNI du crépuscule
A collimater mes glaviots
Dans mon viseur de somnambule
Je flye vers les radars au bar
Qui me montrent la voie lactée
Quand la fée aux yeux de lézard
Me plonge dans ses brouillards nacrés
Je flye vers la cité-frontière
Dans la nuit des villes sans lumière

Au nom du père au nom du vice
Au nom des rades et des mégots
Je lève ma Guinness et je glisse
Dans la moiteur des mélancos
Je flye vers les parfums tactiles
Et vers l’androgyne ovipare
Je flye vers l’assassin tranquille
Sous mon sourire d’aérogare
Et j’carbure aux années-lumière
Mon astronef dans les rigoles
Mes rétrofusées dans la bière
Pour la liturgie d’la picole
Je pars vers le chaos caché
Dans les vestiges de ma mémoire
Quand je n’sais plus de quel côté
Se trouvent mes yeux dans les miroirs
Je flye vers la cité-frontière
Dans la nuit des villes sans lumière

Thiéfaine, à la quête d’une noire poésie du monde

Paradis artificiels, redescentes hallucinées, paroles coruscantes parsèment ce monde d’ironie parfois douce, parfois acérée, recherchant le sens d’une vie dans l’absurde. Le spectacle des humains est parfois tendre, parfois totalement écœurant, et le poète cherche, furetant partout, en lui, en eux, en d’autres cieux. Et il perce la violente aridité du monde avec des mots qui le tapissent de sens. D’un sens parfois insoutenable tellement il est cru et insupportable.

Un peu plus tard paraissent Météo für nada et Eros über alles, qui perpétuent la recherche dans des horizons plus distanciés, aussi acides mais plus universels. La recherche de LA femme, de la beauté, du verbe semblent désormais donner un sens à la quête. Vie et mort sont dépassées par la recherche poétique et c’est bien l’imaginaire débridé qui, dans le monde, a le dernier mot.

Syndrome Albatros, Eros über alles

Clown masqué décryptant les arcanes de la nuit
Dans les eaux troubles et noires des amours-commando
Tu croises des regards alourdis par l’oubli
Et des ombres affolées sous la terreur des mots
Toi qui voulait baiser la terre dans son ghetto
Tu en reviens meurtri, vidé par sa violence
Et tu fuis ce vieux monstre à l’écaille indigo
Comme on fuit les cauch’mars souterrains de l’enfance

De crise en delirium, de fièvre en mélodrame
Franchissant la frontière aux fresques nécrophiles
Tu cherches dans les cercles où se perdent les âmes
Les amants fous, maudits, couchés sur le grésil
Et dans le froid torride des heures écartelées
Tu retranscris l’enfer sur la braise de tes gammes
Fier de ton déshonneur de poète estropié
Tu jouis comme un phénix ivre mort sous les flammes

Puis en busard blessé, cerné par les corbeaux
Tu remontes vers l’azur flashant de mille éclats
Et malgré les brûlures qui t’écorchent la peau
Tu fixes dans les brumes Terra Prohibida
Doux chaman en exil, interdit de sabbat
Tu pressens de là-haut les fastes à venir
Comme cette odeur de mort qui précède les combats
Et marque le début des vocations martyres

Mais loin de ces orages, vibrant de solitude
T’inventes un labyrinthe aux couleurs d’arc-en-ciel
Et tu t’en vas couler tes flots d’incertitude
Dans la bleue transparence d’un soleil torrentiel
Vois la fille océane des vagues providentielles
Qui t’appelle dans le vert des cathédrales marines
C’est une fille albatros, ta petite soeur jumelle
Qui t’appelle et te veut dans son rêve androgyne

Thiéfaine : un poète reconnu à l’encontre des critères médiatiques

Thiéfaine fait peu de télés, peu de radios : ce n’est pas dogmatique de sa part, mais le politiquement correct craint un peu sa vision du monde. Cela n’empêche pas Thiéfaine de remplir les Francofolies de La Rochelle et au tout début l’Olympia, puis le Zénith, puis aujourd’hui Bercy. Sans médiatisation à outrance, attention, ce n’est certainement pas donné à tout le monde. Lors de ses concerts se côtoient plusieurs générations et toutes les hétéroclites couches de la société. De 17 à 97 ans, on peut écouter Thiéfaine hurler sa foi en l’ironie et la tendresse qui, même si elle paraît parfois bien cachée tellement elles est en SOS, met bel et bien l’humain au centre de ses préoccupations.

Autre forte étape, sans doute, Défloration 13 où Thiéfaine prend l’habitude de s’entourer de musiciens que son garçon, Hugo, aime écouter lui-même. La musique change de cap et se modernise, tout en restant bien celle de Thiéfaine. On vogue ici entre pure sensualité – qui parcours l’œuvre depuis toujours mais avec plus ou moins de force suivant les étapes – et mots-couperets. Comme toujours, le sens de la formule cogne très dur, mais toujours avec poésie. Les références aux autres poètes, aux penseurs, aux philosophes, aux bennes à ordures ou à Walt Disney sont toujours présentes.

Also sprach Winnie l’ourson, Défloration 13

La nuit s’achève les étoiles pèlent le jour se lève
ta mère vêle & ton rêve amer commence en transe
& sans trêve en enfer car tu sais qu’on achève
les nouveaux-nés les veaux de l’année qui cassent la cadence
dès que tu nais on te met le pied à l’étrier

& faut ramer toute la journée tu es damné
tu es fiché sur le fichier qui fait chier les
fauchés échauffés & les chattes échaudées
& giflé par le chef qui te dit : l’apprenti
si tu fais ci tu fais pas ça tu sais la vie
c’est pas du cinéma ; qui rit le mercredi
vendredi pleurera & sans doute cramera
son karma comme un rat le mardi ; oh la la l’abruti
qui l’employé du mois jamais ne deviendra
also sprach winnie l’ourson

peu à peu t’avances dans la danse mais faut apprendre
à reculer à t’effacer faut pas comprendre
faut pas toucher pas mettre les yeux dans le même panier
ni les doigts dans le nez des mémés aux gros nénés
pas fumer dans les cabinets ni picoler
sur l’oreiller : boire ou bander il faut choiser
la vie c’est pas comme dans une salle de projection
avec du pop-corn à la con & les deux mains
nichées sur des nichons au bout de l’hameçon
de l’âme-soeur qui te fait l’ascension de ton bandonéon
& quand les petites culottes mouillent & se retrouvent soûles
dans la foule vas-y cool roule & roucoule ma poule
la vie c’est pas qu’un vit y a tous les sans q.i
qui drucker le dimanche & nohain le jeudi
also sprach winnie l’ourson

mais y a pas que les conneries futiles & dérisoires
qui flinguent le quotidien du citoyen moyen
il y a les horreurs que nous livre l’histoire
à la une des journaux pour faire jouir t.f.1
entre bombardements accidents tremblements
de terre ici ou là dans l’attentat du temps
pas la peine de t’inscrire pour les tribulations
du roumi jean marie parti en algérie
pour que t’aies la vision des cruelles perversions
ineffables infamies de ces démocraties
it’s not utile itou de relire cheyenne autumn
ou autre chose de marie sandoz pour connaître la cause
des névroses des nécroses overdoses cirrhoses
des autochtones
piégés par la psychose des visages roses moroses
also sprach winnie l’ourson

pas la peine de revoir « le mépris » de godard
ni « la honte » de bergman ni « gang bang à cuba »
pour finir en paumé à la sortie des gares
entre une vieille hétéro deux diesels & trois rats
& quelques veuves austères -militantes limitées
dévorant les rognons de leurs enfants morts-nés
pas la peine d’écouter la fin du titanic
vue par gavin bryars déjà tu coules à pic
déjà l’ultime question n’attend plus les réponses
aux métaphores obscures obsolètes & absconses
les mots sont des rapaces qui tournent hallucinés
au-dessus du corral où pleurent des fiancés
l’amour est un enfant de coyote enragé
qui fuit le chapparal en emportant les clés
also sprach winnie l’ourson

mais faudra te relever embrayer faire semblant
de gagner de boxer de montrer toutes tes dents
les gens d’ici n’aiment pas les souffreteux-gisants
qui leur donnent l’impression que la vie c’est pas kiffant
tu devras leur faire croire que tu t’en es sorti
que maintenant tu t’en fous que ce qui est dit est dit
même si ça veut rien dire les gens d’ici s’épanchent
si tu leur donnes pas l’illuse d’être des museaux de tanches
parfois faudra aussi faire croire que tu les aimes
que tes synapses cramées te servent encore d’antennes
& leur servir à boire les noyer dans l’amour
dans l’ivresse des caresses des baisers de velours
l’amour est un enfant de poème incongru
qui bugle de son muggle aux remugles d’hallus
les morues de la rue
also sprach winnie l’ourson

maintenant tu es mûr pour le combat dans ton hamac
tu sais tout tu sais rien c’est pareil c’est en vrac
c’est l’éternel scénar c’est l’éternel roman
c’est ce qu’on nous apprend dans l’ancien testament
dans l’odyssée d’homère dans play-boy dans france-soir
dans les pièces de shakespeare les manuels d’histoire
dans le journal de mickey dans les modes & travelots
dans vélo-magazine dans  » mets-la-moi-rocco « 
dans le petit albert dans le livre des morts
dans le coran dans l’argus dans le journal des sports
dans batman aristote bukowski ou schiller
van gogh warhol pollock debussy ou mahler
dans fustel de coulanges notorious big aussi
& puis dans la naissance de la tragédie
& dans winnie
oui dans winnie
also sprach winnie l’ourson

Thiéfaine continue la quête inlassablement, entre amour et désespoir, ayant parfois une folle envie de lâcher prise et parfois, aussi, une impérieuse nécessité de continuer l’exploration. Un peu comme n’importe qui, en somme, mais en plus grand, à travers tous les excès. Des hauts très hauts, des bas très bas, des gouffres poétiques, des pics métaphysiques et seulement un regard au milieu de l’immense bordel universel. Un regard qui rappelle Baudelaire, Vian, Lautréamont, Rimbaud ou les autres décadents, avec une folie et un tour de phrase propres, sans le moindre équivalent en poésie française, donc. C’est aussi sans doute pour cela que ses mots qui dérangent sont tellement universels. Un peu à la manière de ces monuments qui ont une immense ombre portée…

Gynécées, Scandale mélancolique

Nous sommes tous un peu trop fragiles
A regarder tomber la nuit
Sur le vert-de-gris de nos villes
Avec nos amours sous la pluie
Dans cette grisaille silencieuse
Où les regards de nos déesses
Deviennent des ombres orageuses
Et chargées d’étrange tristesse 

Elles
Magnifiquement belles
Elles
Magnifiquement 

Elles ont cette folie si tranquille
Ce calme étrange au bord du stress
Quand nous traînons sur nos béquilles
A leur mendier de la tendresse
Elles sont si brillantes et si vraies
Dans le chaud velours de leurs nids
Pour nous piètres morveux distraits
Qui nous prenons pour des génies 

Elles
Magnifiquement belles (bis)
Elles
Magnifiquement 

Elles portent en nous des cris d’enfants
Comme au temps des cours de récré
Quand on attend l’heure des mamans
Au bout de nos coeurs estropiés
Elles ont le monde entre leurs seins
Et nous sommes des oiseaux perdus
Des ptérodactyles en déclin
Avec des sentiments tordus

Discographie

Albums studio

  • 1978 : Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir
  • 1979 : Autorisation de délirer
  • 1980 : De l’amour, de l’art ou du cochon
  • 1981 : Dernières balises (avant mutation)
  • 1982 : Soleil cherche futur
  • 1984 : Alambic / Sortie Sud
  • 1986 : Météo für nada
  • 1988 : Eros über alles
  • 1990 : Chroniques bluesymentales
  • 1993 : Fragments d’hébétude
  • 1996 : La Tentation du bonheur
  • 1998 : Le Bonheur de la tentation
  • 2001 : Défloration 13
  • 2005 : Scandale mélancolique
  • 2007 : Amicalement blues (en collaboration avec Paul Personne)
  • 2011 : Suppléments de mensonge

 Enregistrements publics

  • 1983 : En concert (double album vinyle ou double cd)
  • 1986 : En concert vol.2 (double album vinyle ou cd simple)
  • 1988 : Routes 88 (double album vinyle ou cd simple)
  • 1995 : Paris-Zénith (double cd)
  • 1999 : En concert à Bercy (double cd)
  • 2002 : Au Bataclan
  • 2007 : Scandale mélancolique tour (double cd)
  • 2012 : Homo plebis ultimae tour (double cd)

 Compilations

  • 1988 : 1978-1983
  • 1989 : 1984-1988
  • 1998 : 1978-1998
  • 2002 : Les Fils du coupeur de joints (album hommage & compilation)
  • 2006 : Les indispensables
  • 2008 : Tous ces mots terribles (un titre sur une compilation hommage à François Béranger)
  • 2009 : Séquelles
  • 2010 : Remets-lui Johnny Kidd (un titre sur une compilation hommage à Alain Bashung)
  • 2014 : La Bande à Renaud : titre En cloque

 Vidéographie

  • 1992 : Bluesymental tour (VHS)
  • 1995 : Paris-Zénith (VHS)
  • 1999 : En concert à Bercy (DVD)
  • 2007 : Scandale mélancolique tour (DVD)
  • 2012 : Homo plebis ultimae tour (DVD/Blu-ray)

 Récompenses

  • 1996 : prix de l’académie Charles-Cros
  • 2011 : Grand prix de la chanson française de la SACEM 4
  • 2012 : Victoire de la musique de l’album de chansons
  • 2012 : Victoire de la musique de l’artiste interprète masculin de l’année

En savoir plus sur Thiéfaine

Une petite dernière pour la route…

Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable, Le Bonheur de la tentation

J’me sens coupable d’avoir assassiné mon double dans le ventre de ma mère et de l’avoir mangé
J’me sens coupable d’avoir attenté à mon entité vitale en ayant tenté de me pendre avec mon cordon ombilical
J’me sens coupable d’avoir offensé et souillé la lumière du jour en essayant de me débarrasser du liquide amniotique qui recouvrait mes yeux la première fois où j’ai voulu voir où j’en étais
J’me sens coupable d’avoir méprisé tous ces petits barbares débiles insensibles, insipides et minables qui couraient en culottes courtes derrière un ballon dans les cours de récréation
Et j’me sens coupable d’avoir continué à les mépriser beaucoup plus tard encore alors qu’ils étaient déjà devenus des banquiers, des juges, des dealers, des épiciers, des fonctionnaires, des proxénètes, des évêques ou des chimpanzés névropathes
J’me sens coupable des lambeaux de leur âme déchirée par la honte et par les ricanements cyniques et confus de mes cellules nerveuses Je me sens coupable, coupable !

J’me sens coupable d’avoir été dans une vie antérieure l’une de ces charmantes petites créatures que l’on rencontre au fond des bouteilles de mescal et d’en ressentir à tout jamais un sentiment mélancolique de paradis perdu
J’me sens coupable d’être tombé d’un tabouret de bar dans un palace pour vieilles dames déguisées en rock-star, après avoir éclusé sept bouteilles de Dom Pé 67 dans le seul but d’obtenir des notes de frais à déduire de mes impôts
J’me sens coupable d’avoir arrêté de picoler alors qu’il y a des milliers d’envapés qui continuent chaque année à souffrir d’une cirrhose ou d’un cancer du foie ou des conséquences d’accidents provoqués par l’alcool
De même que j’me sens coupable d’avoir arrêté de fumer alors qu’il y a des milliers d’embrumés qui continuent chaque année à souffrir pour les mêmes raisons à décalquer sur les poumons en suivant les pointillés
Et j’me sens aussi coupable d’être tombé de cénobite en anachorète et d’avoir arrêté de partouzer alors qu’il y a des milliers d’obsédés qui continuent chaque année à souffrir d’un claquage de la bite, d’un durillon au clitoris, d’un anthrax max aux roubignolles, d’une overdose de chagatte folle, d’un lent pourrissement scrofuleux du scrotum et du gland, de gono, de blenno, de tréponèmes, de chancres mous, d’HIV ou de salpingite Je me sens coupable, coupable !

J’me sens coupable d’être né français, de parents français, d’arrière-arrière… etc. grands-parents français, dans un pays où les indigènes pendant l’occupation allemande écrivirent un si grand nombre de lettres de dénonciation que les nazis les plus compétents et les mieux expérimentés en matière de cruauté et de crimes contre l’humanité en furent stupéfaits et même un peu jaloux
J’me sens coupable de pouvoir affirmer qu’aujourd’hui ce genre de pratique de délation typiquement française est toujours en usage et je prends à témoin certains policiers compatissants, certains douaniers écoeurés, certains fonctionnaires de certaines administrations particulièrement troublés et choqués par ce genre de pratique
J’me sens coupable d’imaginer la tête laborieuse de certains de mes voisins, de certains de mes proches, de certaines de mes connaissances, de certains petits vieillards crapuleux, baveux, bavards, envieux et dérisoires, appliqués à écrire consciencieusement ce genre de chef-d’oeuvre de l’anonymat J’me sens coupable d’avoir une gueule à être dénoncé Je me sens coupable, coupable !

J’me sens coupable de garder mes lunettes noires de vagabond solitaire alors que la majorité de mes très chers compatriotes ont choisi de remettre leurs vieilles lunettes roses à travers lesquelles on peut voir les pitreries masturbatoires de la sociale en train de chanter c’est la turlutte finale
J’me sens coupable de remettre de jour en jour l’idée de me retirer chez mes Nibelungen intimes et privés, dans la partie la plus sombre de mon inconscient afin de m’y repaître de ma haine contre la race humaine et même contre certaines espèces animales particulièrement sordides, serviles et domestiques que sont les chiens, les chats, les chevaux, les chè-è-vres, les Tamagochis et les poissons rouges
J’me sens coupable de ne pas être mort le 30 septembre 1955, un peu après 17 heures 40, au volant du spyder Porsche 550 qui percuta le coupé Ford de monsieur Donald Turnupseed
J’me sens coupable d’avoir commencé d’arrêter de respirer alors qu’il y a quelque six milliards de joyeux fêtards crapoteux qui continuent de se battre entre-eux et de s’accrocher à leur triste petite part de néant cafardeux

Je me sens coupable, coupable !

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